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distillée est pure, très saine et sans goût ; les autres la déclarent insalubre et presque aussi détestable qu’avant l’opération. Ceux-ci emploient un « intermède, » c’est-à-dire une matière solide, pulvérulente, qu’ils introduisent dans l’alambic en même temps que le liquide ; ceux-là sont d’avis que cette complication est entièrement superflue. Tous ces dissentimens s’expliquent facilement. Le sel marin, qui n’est pas la seule matière dissoute dans l’eau de l’océan, est accompagné de plusieurs autres corps, entre autres par le chlorure de magnésium. Ce dernier sel, bien desséché, résiste à l’action de la chaleur la plus violente sans s’altérer ; mais, en présence de l’eau bouillante, il se comporte autrement. Un phénomène que les chimistes nomment double décomposition se produit au-dessus de 100 degrés : le chlore quitte le magnésium pour se combiner avec l’hydrogène de l’eau, et l’oxygène de celle-ci s’unit au magnésium ; il se produit, en définitive, de la magnésie qui reste dans la chaudière et de l’acide chlorhydrique, ou esprit de sel, qui distille, grâce à sa volatilité. Or de faibles traces de cet acide rendent impotable et malsaine l’eau distillée. Mais comment éviter cet inconvénient ? Deux moyens se présentent : le plus simple consiste à empêcher la concentration de la liqueur à distiller, en enlevant les sels qui se déposent ou en ajoutant de l’eau de mer fraîche. En effet, l’eau bout à une température plus élevée de quelques degrés si elle est chargée de sels : suffisamment diluée, elle ne laisse pas dégager d’acide chlorhydrique. Mais on peut aussi absorber cet acide par diverses substances qu’on mêle préalablement à l’eau salée et qui ne le restituent pas à la fin de l’opération. On comprend maintenant l’erreur des savans qui prétendaient que la distillation ne dépouille pas l’eau de son amertume : pris d’un beau zèle, ils avaient chauffé trop longtemps sans prendre aucune précaution, au lieu que leurs adversaires avaient eu la prudence de s’arrêter à temps. Parmi les « intermèdes, » quelquefois mystérieux, qui ont été employés ou proposés, nous citerons la chaux, la craie, la potasse, la soude, les os calcinés : toutes matières communes, peu chères, mais inutiles, en définitive.

Le problème était jadis d’une telle importance que bien d’autres moyens encore avaient été mis en avant, sans compter la méthode d’évaporation. On est surpris de voir le grand nom de Leibniz attaché à une proposition jugée singulière, pour ne pas dire pis, par ses contemporains eux-mêmes : l’illustre philosophe et mathématicien