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Nul n’ignore d’ailleurs qu’à très forte dose l’eau marine constitue un vomitif ; prise en proportion plus faible, elle est purgative et diurétique. Dioscoride conseillait de la délayer avec du miel, d’où devait résulter une médecine peut-être efficace, mais sûrement peu ragoûtante. Au début de ce siècle, on la coupait avec du vin : la seconde mixture n’était guère meilleure que la première. On la prônait jadis en Espagne contre la fièvre jaune et en Angleterre contre les vers ; dans le premier cas, elle agissait comme un vomitif et se buvait pure ; dans le second, on y ajoutait du lait afin que l’enfant pût l’absorber sans trop de répugnance. Avant d’en finir avec ces vieilles recettes, ajoutons qu’on a essayé de traiter par les bains de mer deux maladies réputées incurables ou presque incurables aujourd’hui : la rage et la manie. Kéraudren écrit en 1814 qu’on tenta de guérir un malheureux fou en le plongeant dans la mer, suspendu à une corde, pendant qu’on lui versait de l’eau sur la tête : on ne réussit qu’à noyer à demi l’infortuné, dont l’histoire rappelle une anecdote des lettres de Mme de Sévigné.

L’eau salée contient un peu d’iode : elle est donc résolutive et pourrait s’appliquer à l’extérieur pour combattre les tumeurs[1] et les ulcères, bien qu’on dispose actuellement de remèdes plus énergiques et plus sûrs. Observons qu’il y a plus de cent ans, et, bien avant la découverte de l’iode par Courtois et Gay-Lussac, Russel avait déjà reconnu l’efficacité des éponges et coraux calcinés et des cendres de varechs, matières beaucoup plus riches en iode que l’eau de mer elle-même.

Il existe actuellement, dans le département du Pas-de-Calais, à Berck-sur-Mer, un hôpital maritime, fondé par la ville de Paris et où l’on traite avec succès les enfans pauvres rachitiques ou scrofuleux. C’est principalement aux bains, à l’exercice, au bon air que l’on doit attribuer l’efficacité de la cure ; néanmoins, on ne néglige pas de faire boire aux petits malades surtout le soir, avant leur coucher, quelques cuillerées à bouche d’eau de mer, agissant alors comme un tonique et un excitant. Faudrait-il en faire prendre aux cholériques ? La recette a dû évidemment être proposée, et nous serions bien étonné si nous apprenions de source certaine que jamais l’eau salée n’a été recommandée contre le phylloxéra.

Quelques navigateurs ont prétendu que, faute d’eau douce,

  1. Une anecdote des plus authentiques relate un fait à l’appui de cette propriété résolutive de l’eau salée, bien connu en Provence. Lors de la campagne d’Égypte un pestiféré atteint de la terrible maladie parvint à se guérir en demeurant plongé dans la mer après avoir eu le courage d’ouvrir lui-même son bubon. Il en obtint par ce moyen la prompte cicatrisation, et longtemps après il racontait ce remède héroïque qu’il avait employé d’inspiration et auquel il devait d’avoir échappé à une mort certaine.