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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/688

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dans la fièvre, et quand l’Egypte, Alger, Tunis se taisent, l’inquiète Europe, prêtant l’oreille, croit entendre, entre le Rif et le Miltsin, comme le vague murmure d’une marmite qui bout. Qu’y a-t-il dans cette marmite ? Personne ne le sait. Ce n’est rien, disent les uns. C’est quelque chose, disent les tutres, — et les journaux s’empressent d’annoncer que le Moghreb s’agite, qu’il s’y passera avant peu des événemens qui pourraient bien mettre en danger la paix générale. On apprend aussi de temps à autre qu’un des souverains de l’Europe vient d’envoyer à Fez une ambassade chargée d’offrir quelque splendide cadeau au sultan Muley Hassan, que cette ambassade est parvenue heureusement à sa destination, que le sultan s’est donné le plaisir de la laisser se morfondre une heure durant, exposée tête nue aux ardeurs d’un soleil africain, qu’il a daigné paraître enfin, monté sur le cheval richement harnaché qui lui sert de trône, et qu’après quelques propos insignifians, il a tourné bride pour rentrer dans son harem. A quelques mois de là, le bruit se répand qu’un Maure ou qu’un juif, protégé par une puissance européenne, a eu des avanies à souffrir dans sa personne ou dans ses biens. Cet incident fâcheux donne lieu à une négociation que le flegme musulman s’applique à traîner en longueur. Tout se termine par une indemnité accordée de mauvaise grâce, acceptée sans reconnaissance ; encore, pour l’obtenir, faut-il parfois se fâcher, et on apprend par un télégramme parti de Tanger que tel ministre plénipotentiaire se dispose à amener son pavillon. Mais aussitôt les autres ministres s’entremettent pour accommoder ce procès, car chacun d’eux a pour principe que le premier devoir d’un diplomate est de se procurer des affaires qui fassent parler de lui, et que de second est d’empêcher les autres d’en avoir.

Quelque incident qui se produise dans l’empire de l’extrême couchant, l’Europe s’en émeut ; ce qui l’émut plus que tout le reste, ce fut l’apparition d’une escadre française dans les eaux du Maroc. A Madrid comme à Londres, et à Rome encore plus qu’à Madrid, on s’empressa de dénoncer avec indignation les insatiables convoitises, les perfides menées de la France, qui se disposait à mettre la main sur le Moghreb. Les assurances données par notre gouvernement calmèrent les esprits échauffés ; mais, pour les échauffer de nouveau, il suffit d’un faux bruit, d’un rapport controuvê qui donne lieu à des conjectures hasardeuses, d’une entre-mangerie de consuls ou d’envoyés extraordinaires. L’autre jour, un journal français portait de graves accusations contre le représentant de la Grande-Bretargne à Tanger. Lord Granville fut interpellé à ce sujet dans la chambre haute. Notre ministre, M. Ordega, qu’on soupçonnait d’avoir inspiré l’article, a démenti ce bruit injurieux, et honorable, sir John Hay s’est déclaré satisfait. Nous avons pu croire quelque temps que nous avions de sérieuses difficultés avec le gouvernement de Fez. Nous savons depuis