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selon le mot de je ne sais plus qui. Mais les défauts de Molière ne sont pas des défauts, ce sont des qualités ; ce que l’on reprendrait chez tout autre, il est convenu qu’on le doit admirer chez Molière ; le style de Molière, la morale de Molière, la philosophie de Molière n’appartiennent pas à la critique ; Molière est en dehors et au-dessus de toute discussion ; et comme il n’y a que des pédans enfin pour oser dire qu’en pensant bien Molière écrit quelquefois mal, il n’y a que des tartuffes pour se permettre d’insinuer que le théâtre de Molière n’est pas toujours une école de délicatesse, de mœurs, et de vertu. — Boileau, La Bruyère, Bayle, Fénelon, Vauvenargues sont les pédans ; les tartuffes s’appellent Racine, Bourdaloue, Bossuet et Jean-Jacques Rousseau.

Cette superstition ne s’est pas même bornée à l’œuvre ; elle s’est insensiblement étendue jusqu’à l’homme. Les uns ont porté en bague « une dent de Molière. » D’autres vont contempler au musée de Cluny « la mâchoire de Molière. » Celui-ci conserve pieusement, dans une collection de petites horreurs, entre « une partie de la moustache d’Henri IV » et a un fragment du linceul de Turenne, » un os innomé de Molière. Et quelqu’un enfin ne s’est-il pas rencontré pour donner aux femmes enceintes cet étrange conseil d’avoir, dans leur chambre à coucher, comme un vivant exemplaire de la « beauté physique » et de « la beauté morale, » un buste, de Molière ? Ce sont les mêmes, — est-il besoin, en passant, d’en faire la remarque, — qui n’auraient pas, à l’occasion, de traits assez piquans ni de railleries assez amères contre les adorateurs de reliques. Ils n’ont pas moins fondé, voilà six ans, une petite église, où le culte se célèbre.


D’une assez agréable et gaillarde manière,


en arrosant de sauterne les filets de soles à la Joinville, et relevant d’un verre de corton les côtelettes, de chevreuil à la purée de marrons. On trouve leur menu, dans leurs annales, entre Deux Mots à propos de Tartuffe, et un Compte d’apothicaire au temps de Molière.

Toute superstition, j’y consens, est respectable, et même je reconnais qu’il y en a de touchantes ; à la condition cependant de ne nuire à personne, et moins qu’à tout autre, sans doute, au saint ou au dieu qu’on prétend honorer. Or, c’est déjà beaucoup qu’un honnête homme ne puisse pas librement sans être traité de « fumiste, » préférer, s’il lui plaît, le style de Racine à celui de Molière. Et c’est assurément trop que de voir sacrifier à Molière, tous ceux d’abord que leur mauvaise fortune mit jadis en conflit avec lui, tous ceux ensuite qui l’ayant sincèrement admiré ne l’ont pas admiré sans mesure, et tous ceux enfin qui, pour être grands dans un autre genre et d’une autre manière, ne