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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/706

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en veut-on tirer ? Car, de la plus tragique des comédies de caractère, si l’on se proposait de réduire Tartuffe à la plus personnelle des comédies de circonstance, on ne saurait autrement s’y prendre. Ce sont les pièces de Thomas Corneille et ce sont les pièces de Dancourt qui se modèlent ainsi sur l’événement de la veille et sur le scandale du jour. Mais, ô moliériste aveugle, ne voyez-vous donc pas que, si vous vouliez déposséder Molière du meilleur de sa gloire, vous n’auriez justement qu’à généraliser cette imprudente méthode ! Si le Misanthrope était M. de Montausier, si Tartuffe était l’évêque d’Autun, si don Juan était le marquis de La Feuillade, si l’Avare était le lieutenant-criminel Tardieu, c’est Molière en effet qui lui-même ne serait plus Molière, et que faut-il penser de votre façon de le comprendre, vous qui ne l’admirez qu’autant que ces types si vrais, et d’une vérité si largement humaine, seraient la fidèle copie du plus particulier des hypocrites et des ladres ?

Tous les « aperçus critiques » d’Edouard Fournier, dont M. Vitu ne laisse pas de louer le « solide mérite, » sont à peu près de la même force et de la même valeur. Sur l’École des femmes , sur le Misanthrope , sur Amphitryon , sur George Dandin , rien de plus pauvre, rien de plus médiocre, rien de plus banal que ce que l’on nous donne ; des feuilletons, — non pas même cela, des fragmens, des bouts de feuilletons, — et pas un mot qui, dans ces feuilletons, révèle ou trahisse un sincère admirateur de Molière. Son enthousiasme est de commande, et sa louange est de convention. C’est qu’au fait il n’aime dans Molière que l’objet de ses propres recherches, le grand nom qui lui donne occasion de tirer de ses carnets les notes qui les remplissent, un prétexte convenable enfin à nous faire étalage de son érudition facile. Quand il va voir jouer le Misanthrope , ce qu’il trouve de plus neuf à dire, c’est que puisque Molière jouait Alceste « en habit gris, » on devrait cesser de le jouer « en habit de velours vert sombre, » et pas une fois il ne manque à le redire. De même, s’il va voir jouer le Bourgeois gentilhomme , c’est à peu près uniquement pour constater que les costumes n’en sont point conformes à celui que décrit l’Inventaire de Molière, et « s’étonner » qu’ils ne le soient pas. « Le pourpoint de taffetas, garni de dentelles d’argent faux, le ceinturon, des bas de soie verte et des gants avec un chapeau garni de plumes aurore et vert ; n’est-ce pas charmant, et trouvez-vous rien de plus bouffon que ces bas verts et ces plumes aurore ? »

Quelquefois cependant il s’efforce d’y mettre du sien, et c’est alors qu’il fait les découvertes qui mériteront d’être longtemps attachées à son nom, comme celle que nous avons signalée dans la leçon de philosophie du Bourgeois gentilhomme . C’est encore lui qui, de ces trois vers des Fâcheux  :