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inventions qui se trouvent encore aujourd’hui mêlées à la biographie du poète. C’est lui qui, le premier, s’est avisé, par exemple, d’aller chercher dans le Roman comique de Scarron la troupe de Molière, de retrouver Madeleine Béjart dans Mlle de l’Étoile, Molière lui-même dans le comédien Destin, et, ainsi, pour plusieurs années, de dépister les chercheurs en dirigeant leur enquête sur une région de la France que Molière et sa troupe de province n’ont jamais exploitée. Car tous connaissons aujourd’hui la troupe du Roman comique, nous savons les originaux qui posèrent devant Scarron, et nous pouvons affirmer que ce n’étaient ni Molière, ni ses amis les Béjart. Mais il y a fallu du temps, et le nom du bibliophile a tellement accrédité l’hypothèse qu’encore aujourd’hui je ne refondrais pas qu’elle ait fini de faire partie de la biographie de Molière.

Nous devons encore à M. Paul Lacroix cette fable des lettres et des manuscrits de Molière lacérés ou brûlés, et, en tout cas, détruits « par la mystérieuse confrérie de l’index ; » ou si peut-être nous ne la lui devons pas, — car j’avoue que je n’ai point vérifié s’il en était le premier auteur, — nul du moins n’a plus fait que lui pour la répandre. M. Constant Coquelin, sociétaire de la Comédie-Française, dans une Étude sur Tartuffe, nous donnait, tout récemment encore, une variante heureuse de cette belle légende : les papiers de Molière, quand il mourut, se trouvaient dans une malle, qui fut volée, c’est son mot, « on ne sait comment, mais on se doute bien par qui. » Puisque M. Paul Lacroix aujourd’hui n’est plus là pour nous répondre, je demanderai simplement à M. Constant Coquelin, non pas même où sont les manuscrits de Polyeucte et de Bajazet, mais où le manuscrit des Sermons de Massillon et où le manuscrit des Sermons de Bourdaloue ? Vous verrez que les jésuites auront « volé » la malle de l’évêque de Clermont, tandis que les oratoriens « subtilisaient » la valise du grand prédicateur de la cour.

C’est encore M. Paul Lacroix, qui, sans ombre de preuves, ni présomptions seulement, avec une assurance de mystificateur, a grossi les œuvres de Molière, et de la Folle Querelle, et de Mélisse, et du Ballet des Incompatibles, et de je ne sais combien de rapsodies ridicules dont il est devenu nécessaire, grâce à lui, de démontrer longuement qu’elles ne sont ni ne peuvent être l’œuvre de Molière. Lorsque, l’année dernière, un chercheur décidément malheureux, M. Louis-Auguste Ménard, s’est avisé d’attribuer à son tour à Molière une longue et verbeuse satire où, si l’on retrouve l’allure générale de la versification du XVIIe siècle, on ne peut rien reconnaître assurément qui rappelle, même de loin, l’auteur de Tartuffe, les moliéristes, tous ensemble, se sont élevés contre lui d’une telle violence qu’il a fallu comparaître en justice. Mais M. Ménard aurait pu leur répondre que, pour une fois qu’il se trompait, le