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et obsession de parti, on a cru pouvoir depuis quelques années se jouer impunément de tout, des plus simples conditions de gouvernement, des traditions libérales, du régime parlementaire. On n’a eu visiblement qu’une idée fixe, celle de tout subordonner, de tout ramener à un intérêt vulgaire de règne en croyant servir la république, qu’on a, en définitive fort mal servie. Le jour est venu où les conséquences du système ont éclaté, et le pays s’est trouvé dans cette situation que nous voyons aujourd’hui, en face de toutes ces affaires inexpliquées, inextricables de la guerre du Tonkin, des déficits chroniques du budget, sans avoir cette dernière garantie d’un régime parlementaire sincèrement pratiqué. Et quand on constate sans réticence une situation sur laquelle il n’y a plus d’illusion permise, ce n’est ni la fortune de la France, ni la vigueur réparatrice d’une nation généreuse qu’on met en doute ; on met simplement en cause une politique qui a abusé de tout, érigeant en système ses imprévoyances et ses infatuations, qui vient certes de se montrer encore une fois sous un médiocre jour, dans cette double discussion d’hier sur les crédits du Tonkin et sur les finances.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, dans tout ce qui se fait aujourd’hui, on ne cesse d’invoquer le régime parlementaire. Gouvernement et chambres parlent perpétuellement du régime parlementaire pour expliquer leurs actes, leurs usurpations ou leurs faiblesses. Mais, c’est précisément un des griefs les plus sérieux contre les hommes qui règnent et qui gouvernent depuis quelques années. Ils semblent n’avoir pas même la plus simple idée du régime dont ils parlent sans cesse et qu’ils se figurent pratiquer parce qu’ils s’en servent pour satisfaire leurs passions et leurs intérêts de parti. La vérité est qu’ils ne sont pas plus des parlementaires que des libéraux. Du régime parlementaire ils gardent, si l’on veut, les apparences, les fictions, les abus toujours possibles, les controverses bruyantes et stériles. Dans la réalité, ils l’altèrent perpétuellement, ils le ruinent par un déplacement de tous les rôles et de tous les pouvoirs, qui conduit à la confusion et à l’impuissance. Il y a un ministère qui, sous prétexte de s’assurer une majorité, se fait le complice de tous les calculs, de tous les petits intérêts, de tous les ressentimens républicaine ou qui est réduit à ruser avec tous les groupes d’une chambre incohérente, à se sauver quelquefois par des équivoques et des subterfuges. Il y a des commissions qui, sous prétexte qu’elles représentent une assemblée souveraine, prétendent usurper toutes les prérogatives, se substituent à l’action du gouvernement, touchant indiscrètement à tout, aux finances, aux affaires extérieures, à l’administration militaire, pour ne réussir en fin de compte qu’à tout brouiller et à tout désorganiser. Non, assurément, ce n’est pas le régime parlementaire sérieux et sincère. C’est un état assez difficile à définir, où le