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au parlement. Il a ses secrets, qui se transmettent de ministère en ministère sans jamais être soupçonnés. Nous nous souvenons qu’un jour, il y a déjà bien des années, l’empereur Nicolas avait eu avec un ministre anglais à Londres et, plus tard, avec l’ambassadeur de la reine à Saint-Pétersbourg les conversations les plus graves au sujet des affaires d’Orient. Jamais un mot n’avait été prononcé sur ces conversations, jamais le parlement n’en avait rien su ; elles n’avaient pas même été confiées à la France à la veille de la guerre de Crimée, et ce n’est que sur une provocation presque insultante de l’empereur Nicolas que le cabinet de la reine se décidait à divulguer ces document qui étaient tout à l’honneur de la loyauté britannique. Aujourd’hui, dans notre commission, on aurait voulu probablement tout savoir, le gouvernement aurait sans doute laissé tout deviner, — et on aurait mis au besoin une ligne de points aux passages trop risqués du procès-verbal !

Le secret, d’ailleurs, il faut l’avouer, était assez inutile cette fois dans ces affaires de l’Indo-Chine, et ce n’était pas la peine de jouer cette comédie du mystère tempéré par toutes les indiscrétions à propos de faits qui commencent à être trop connus. Le secret, il était déjà partout, même avant cette dernière discussion qui a uni par le vote des crédits du Tonkin, et à laquelle ont pris part M. Delafosse, M. l’évêque d’Angers, M. Clémenceau, M. le président du conseil lui-même. Le vrai secret, c’est qu’évidemment on s’est jeté dans cette affaire sans savoir où l’on allait, on s’y est engagé de plus en plus sans savoir où l’on s’arrêterait, on s’est trouvé en conflit avec la Chine sans l’avoir voulu, quoique ce fût facile à prévoir, et, une fois l’action ouverte par les opérations de terre et de mer, on n’est pas encore mieux fixé sur le dénoûment qu’on poursuit. Le secret, c’est que, depuis le commencement jusqu’à l’heure présente, on a procédé légèrement, sans prendre les précautions nécessaires, sans prévoir les difficultés et sans se mettre en mesure de les vaincre. Il y a dans cette longue et confuse histoire de nos affaires du Tonkin, de nos démêlés avec la Chine, des faits au moins singuliers. Assurément, M. le commandant Fournier est un vaillant et intelligent officier, et il a eu une bonne fortune de diplomate improvisé en signant le traité de Tien-Tsin. Pensait-il cependant que tout fût fini ? Il n’en edt pas bien sûr lui-même. Était-il certain que la note supplémentaire qu’il avait remise au vice-roi de Tien-Tsin pour réclamer la retraite « immédiate » des troupes chinoises engagées dans le Tonkin fût acceptée ? Il le croit, mais il n’avait pas un interprète à lui et il a été réduit à interroger la physionomie, les gestes du vice-roi. C’est là cependant le nœud de toutes les complications. Autre exemple : M. le lieutenant-colonel Dugenne, aussitôt après le traité de Tien-Tsin, est envoyé avec des forces insuffisantes sur Lang-Son, et il ne tarde pas à se trouver devant l’ennemi. Un des chefs militaires