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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/74

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en les racontant. Le fanatisme religieux ne doit pas en porter la charge : une critique éclairée a remis aujourd’hui les responsabilités à leur place. La raison d’état poursuivait, dans les protestans, moins des hérétiques que des factieux. Depuis le jour où nous avons quitté la forêt Hercynienne, le christianisme a singulièrement modifié nos instincts sauvages ; il faudra probablement quelques générations encore pour que la transformation soit complète ; quelque procédé qu’on y emploie, ce n’est pas chose facile de changer le loup Fenris en agneau.


III.

En Grèce, on ne connaissait pour entretenir l’activité du rameur que la voix du céleuste ; l’esclave même, si on l’embarquait, avait part à cette immunité générale ; « non pas, nous dit Eschine, que le législateur s’intéresse à l’esclave ; mais pour mieux imprimer le respect des personnes libres, il est bon d’étendre ce respect là même où cesse la liberté. » Le Romain, lui, était habitué, dès l’adolescence, aux brutalités du licteur ; aussi admettait-il sans murmure la jussio, — l’injonction, — d’abord et, quand la jussio ne suffisait pas, le portisculus, autrement dit le bâton de l’hortator remigum, « Les marins, disait en 1261 le roi de Castille, Alphonse le Sage, doivent être expéditifs dans ce qu’ils font, comme la mer qui est, de sa nature, mobile et emportée. » Le général Bonaparte, embarqué sur le vaisseau l’Orient, vaisseau qui le conduisait en Égypte, estimait fort la liane du quartier-maître et n’en faisait pas mystère : il n’eût cependant pas admis qu’on osât porter la main sur ses soldats. « La chiourme, observe ici le capitaine Pantero Pantera, fuit volontiers la fatigue et chérit le repos. Pour l’exciter à faire son devoir, il faut employer le bâton autant que le sifflet. En usant de rigueur, le comité sera mieux obéi et le service s’en ressentira : car la crainte des coups est la principale cause de la bonne conduite à bord de la galère. »

« On aurait tort cependant, ajoute le judicieux capitaine, de recourir constamment à ces excitations corporelles ; il importe au contraire de n’en user que par intervalles et avec une extrême discrétion. Le comite qui maltraite sa chiourme sans raison et qui l’irrite ainsi imprudemment, — comme je l’ai vu faire à maint comité inconsidéré, — peut jeter ses forçats dans le désespoir. Ces malheureux en viennent alors à souhaiter la mort comme la délivrance de tous leurs maux : ils s’entêtent et se laisseraient tuer plutôt que de bouger. Le châtiment ne doit pas dépasser la mesure et tomber dans la cruauté ; s’il va au-delà, que ce soit au moins dans des cas où l’on ne puisse douter que l’excès provient uniquement du zèle pour le