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Turnus redouble d’efforts, attaque à la fois toutes les portes, jette sur les tours des torches enflammées et se croit sûr du succès, quand tout à coup un cri retentit sur les murailles, un cri de joie et de délivrance : c’est Énée qui arrive avec les trente vaisseaux des Étrusques. Le soleil, qui se lève en ce moment derrière les monts Albains, frappe son bouclier en face, et les éclairs qui s’en échappent n’ont pas de peine à être aperçus du camp troyen, qui, comme on l’a vu, est à quatre stades de la mer.

Les événemens qui suivent semblent un peu confus, quand on les lit dans le poème ; ils se déroulent au contraire avec beaucoup de netteté lorsqu’on les étudie sur les lieux. En même temps qu’Énée amenait la flotte étrusque à l’embouchure du Tibre, il avait fait partir la cavalerie qu’Évandre lui a donnée, renforcée de celle de Tarchon, par la route de terre. Le chemin qu’elle doit suivre, l’endroit où elle doit s’arrêter et l’attendre, avaient été fixés d’avance. Tout s’est accompli exactement ; la cavalerie a passé le Tibre quelque part, entre le camp troyen et Pallantée. Pour échapper à Turnus, qui se tient sur ses gardes et qui veut surtout empêcher qu’on ne porte secours aux assiégés, elle a dû faire un assez long détour, et peut-être même a-t-elle tourné le stagno di Levante, De tous ses mouvemens le poète ne nous dit rien et il laisse chacun se les figuier à sa fantaisie. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est arrivée, elle aussi, tout près de la mer, puisque Pallas, le fils d’Évandre, qui est venu d’Étrurie sur le vaisseau d’Énée, parvient à la rejoindre et se met à sa tête. Voilà donc quelle est la situation des combattans lorsque Turnus, qui assiège toujours les Troyens, sans paraître se douter de ce qui le menace, entend leur cri de joie et le salut lointain qu’ils adressent à leur chef. Il se retourne lui aussi du côté de la mer et aperçoit la flotte des Étrusques qui aborde sur le rivage. Laissant alors quelques soldats autour des murailles, il court attaquer avec furie les nouveau-venus. Le combat se livre en deux endroits à la fois, vers l’embouchure du Tibre, où Énée, avec les Étrusques, vient de débarquer, et un peu plus loin, du côté de Castel-Fusano, où la cavalerie d’Évandre, commandée par Pallas, se trouve un moment fort embarrassée au milieu de troncs d’arbres et de grosses pierres, qui ont été roulés par les eaux d’un torrent[1]. Après une lutte sanglante, les Latins reculent, Turnus est entraîné loin du combat par un stratagème de sa sœur. La

  1. Cette circonstance parait fort invraisemblable à Bonstetten. « Le Tibre, dit-il, n’a jamais roulé de rochers. » J’ajoute que la cavalerie arcadienne ne combat pas sur les bords du Tibre, mais un peu plus loin. De l’endroit où elle se trouve les montagnes sont fort éloignées, et l’eau qui pourrait en couler tomberait dans le stagno di Levante, qui barre la route. Il est donc très difficile de savoir ce que Virgile veut dire dans ce passage.