Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/785

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Craint-il que les routes sablonneuses de la plaine ne soient mal commodes pour des gens pesamment armés ? On peut le croire ; mais il est plus probable qu’en débouchant sur Laurente par un chemin qui n’est pas le plus court et le plus naturel, il espère qu’il a plus de chance d’être moins attendu et de surprendre l’ennemi. En ce cas, il se trompe, car Turnus, qui possède des éclaireurs, a découvert ses desseins et se prépare à les déjouer. « Il y a, dit Virgile, dans les replis de la montagne, une vallée profonde, propre aux surprises et aux ruses de la guerre, et qu’entourent de tous côtés des hauteurs couvertes de bois épais ; on n’y arrive que par un étroit sentier et par une gorge resserrée, d’un accès difficile. Au-dessus, vers la cime la plus élevée, se cache un plateau qu’on ne connaît pas, poste sûr et commode, soit qu’on veuille de là fondre sur l’ennemi, soit qu’on préfère rester sur la hauteur et rouler d’énormes rochers. C’est là que le chef rutule se rend par des routes ignorées. Il s’empare de la position et s’établit le premier dans la forêt perfide. » Mais tous ses projets sont traversés par des événemens imprévus. Tandis qu’il attend son ennemi, et qu’il espère l’écraser au passage, on vient en toute hâte lui annoncer que la cavalerie de Tarchon a vaincu la sienne et que, ne rencontrant plus aucune résistance sérieuse, elle approche de Laurente et va s’en emparer. Il faut bien qu’il accoure au plus vite pour défendre ses alliés. « Il s’éloigne de la colline qu’il occupait et quitte les bois impénétrables. A peine était-il hors de la vue et entrait-il dans la plaine, qu’Énée, pénétrant dans le défilé, libre désormais, franchit les hauteurs et sort de l’épaisse forêt. Ainsi tous deux marchent rapidement vers la ville et ne sont plus séparés que par un court intervalle. »

Il me semble que, de ce récit, on peut déduire avec quelque probabilité l’emplacement de Laurente. La ville était située dans la plaine, mais adossée à la montagne ; assez rapprochée du rivage pour que de là on pût voir la mer, assez près des collines pour qu’en sortant des bois et des hauteurs on tombât sur elle. Ni Tor-Paterno ni Capocotta ne me paraissent remplir entièrement ces conditions. Le premier de ces deux endroits est trop voisin de la mer et trop éloigné des collines ; s’il tient la place de Laurente, on ne comprend plus rien à la manœuvre d’Énée, et c’est un détour tout à fait ridicule que d’aller passer par la montagne pour y arriver. L’autre, étant engagé dans la montagne même et situé-au-dessus de Pratica, se trouve un peu trop loin du rivage. Strabon, en racontant qu’Énée quitta Laurente pour Lavinium, dit a qu’il s’enfonça dans les terres. » Si l’on place Laurente à Capocotta, l’expression n’est plus juste, puisqu’au contraire de