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est-elle de nature à satisfaire entièrement un historien et un antiquaire rigoureux ? Pour le savoir, consultons le livre curieux que M. Helbig vient de publier et dans lequel il cherche à éclairer par les monumens l’épopée d’Homère[1]. Nous avons, en effet, aujourd’hui, deux moyens pour remonter à ces temps reculés : le premier consiste dans le tableau fidèle qu’en ont tracé les poèmes homériques : l’antiquité y est vivante, et nous pouvons nous contenter de les lire pour la connaître ; mais les fouilles qui ont été entreprises dans ces dernières années en Italie et en Grèce nous fournissent un supplément d’information qui n’est pas à mépriser. Après avoir épuisé les premières couches du sol, les explorateurs se sont décidés de nos jours à descendre plus bas. Il n’est guère probable que ces profondeurs où ils pénètrent nous donnent jamais beaucoup de chefs-d’œuvre, mais elles conservent le souvenir d’époques fort anciennes et de temps en temps elles nous en rendent quelques débris. Ce sont des armes de pierre, de bronze ou de fer, des poteries avec des dessins grossiers, et, quelquefois, dans des tombes d’un âge un peu plus moderne, des bijoux, des coffrets de métal, des peintures grossières qui représentent des batailles ou des festins, ces deux plaisirs des peuples jeunes. M. Helbig pense que ces restes, qui sont à peu près contemporains d’Homère, peuvent servir de commentaire et d’illustration à ses vers. Ils font mieux ressortir ce que dissimule souvent pour nous le charme de sa poésie : c’est qu’après tout il vivait au milieu d’une société barbare. Du premier coup, cette société avait atteint en Grèce la perfection dans la poésie, mais les autres, arts ne marchèrent pas aussi vite. Nous sommes tentés de croire, quand nous lisons l’Iliade ou l’Odyssée, qu’il ne lui restait plus de progrès à faire ; mais, en voyant les armes et les ustensiles dont elle se servait, nous reconnaissons très bien qu’elle en était encore à ses premiers pas.

Virgile, en composant l’Énéide, se trouvait dans un embarras qu’Homère n’avait pas connu. Il ne pouvait pas, comme son prédécesseur, donner aux héros de son poème les mœurs des personnes de son temps. On se serait moqué de lui si les Troyens d’Énée et les Latins de Turnus avaient tout à fait ressemblé aux gens de la cour d’Auguste. Il lui fallait donc les vieillir, et, autant que possible, les ramener à leur époque. Il pouvait rendre, à la vérité, ce travail facile en se contentant de copier Homère, et c’est ce qu’il a fait très souvent ; mais souvent aussi il s’est écarté de son modèle. Il est visible, par exemple, que le palais des Latinus, dont on vient

  1. Voici le titre exact du livre de M. Helblg : das Homerische Epos aus den Denkmälem erläutert.