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bonne foi indignée, écrivait plus tard l’orateur désabusé, contre ce que je croyais une calomnie sans prétexte et sans excuse. Je suis obligé de reconnaître que l’objection de mes contradicteurs était fondée et que leur appréhension a été cruellement vérifiée[1] »

Cette objection, l’éternelle objection opposée aux « cléricaux » chaque fois qu’ils osent se réclamer de la liberté, il suffit de l’apparition d’un maître, qui semblait promettre un protecteur, pour que la presse religieuse se hâtât de la justifier avec une impudente ingénuité. On comprend la tristesse et l’irritation des hommes qui s’étaient pour ainsi dire portés garans de la sincérité de leurs coreligionnaires. Non-seulement ils se voyaient abandonnés de leurs soldats, mais ils voyaient les déserteurs leur enlever leurs armes, ce qui seul leur pouvait permettre de vaincre, la confiance publique dans leur bonne foi. Devant une défection qui les réduisait pour longtemps à l’impuissance, les catholiques pour lesquels la liberté n’avait pas seulement été un déguisement tinrent à prouver qu’ils n’étaient pas « complices de cette duplicité ; que, s’ils n’avaient pas, eux aussi, jeté le masque, c’est qu’ils n’en avaient jamais porté. » Aussi personne, dans aucun parti, ne se montra plus sévère que ces catholiques pour ce qu’ils appelaient le revirement effronté, l’éclatante palinodie de la presse religieuse. Jamais ils ne la lui pardonnèrent : ils tinrent par-dessus tout à ne pas laisser oublier que si, depuis le milieu du siècle, les champions de l’église étaient divisés, la faute n’en était pas aux partisans de la liberté, que ce n’étaient pas eux qui avaient modifié leurs voies et changé les couleurs du camp catholique. Sur ce point, en effet, aucun doute : les lettres privées confirment, nous l’avons vu, les documens publics[2]. Cette scission, qui, en réalité, dure encore, a été le fait des intransigeans qui, après s’être, durant quinze ans, réclamés des libertés modernes, se sont tout à coup avisés qu’elles étaient contraires aux principes sociaux et au dogme chrétien. Pour comprendre l’attitude réciproque des deux factions durant plus de trente ans, leurs ardentes controverses politiques et religieuses, les débats auxquels leur rivalité a condamné l’église, il ne faut pas perdre de vue ce point de départ. Ainsi seulement s’expliquent les différentes phases de la longue lutte dont nous allons essayer de retracer les péripéties et de rechercher les conséquences.

  1. Montalembert, Œuvres complètes, Avant-propos, p. XXXV.
  2. On s’étonne qu’un écrivain, d’ordinaire aussi bien informé et aussi soucieux de la vérité que l’historien du dernier concile, ait pu prendre le change à cet égard et dire que les catholiques libéraux s’étaient séparés de leurs amis pour former un petit groupe à part. (Émile Olivier, l’Église et l’État au concile du Vatican, t. I, p. 303.)