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déclaration de guerre à la société moderne. Ainsi l’entendaient d’un commun accord et les catholiques, qui en avaient provoqué l’apparition, et les incrédules, contre lesquels étaient dirigées les foudres pontificales. L’église, à la grande joie de ses pires adversaires comme de ses enfans aveugles, semblait confesser elle-même son incompatibilité avec la civilisation et le progrès modernes. Elle semblait prendre à son compte le terrible dilemme posé aux peuples, depuis le XVIIIe siècle et la révolution, par les ennemis déclarés du catholicisme, et dire à son tour qu’il fallait choisir entre elle et la liberté, entre les convictions du citoyen et les espérances du chrétien. La papauté paraissait souscrire officiellement à la plus grave des accusations lancées contre elle ; elle se proclamait d’accord avec les adversaires irréconciliables du christianisme sur le point qu’elle avait le plus d’intérêt à leur contester. Le coup, en apparence dirigé contre le libéralisme catholique, frappait tout droit le catholicisme lui-même, ainsi voué des deux bords opposés à la haine des peuples libres non moins qu’aux défiances des gouvernemens.

Les catholiques libéraux, que les ultras prétendaient directement visés, en étaient consternés moins pour eux-mêmes que pour l’église et la papauté, si inconsidérément découverte. Qui se sentait de force à faire face à la fois aux incrédules et aux fanatiques, également triomphans des anathèmes de Pie IX ? Un laïque, un simple prêtre, eût manqué d’autorité ; l’évêque d’Orléans s’en chargea, et l’on ne saurait nier qu’il le fit avec autant d’habileté que de résolution. Comme un général qui, sur le champ de bataille, répare les fautes de son souverain, M. Dupanloup, dégageant l’église de ses enfans perdus et abandonnant les téméraires lancés en avant au milieu de l’ennemi, couvrit une retraite devenue nécessaire. Avec un singulier coup d’œil stratégique, il joignit la question romaine à l’encyclique, prenant l’offensive contre la convention de septembre, gardant la défensive sur l’encyclique et le Syllabus. Ce dernier, il ne le contestait point, ainsi que d’autres l’ont essayé, comme un document anonyme ne portant pas la signature du pape, n’ayant par suite aucune valeur doctrinale, ne pouvant du moins prétendre à l’autorité d’un article de foi. Il l’acceptait au contraire comme émanant du souverain pontife, et, à ce titre, il le défendait à l’aide des procédés théologiques habituels, à l’aide de distinctions et de définitions. Remontant aux documens originaux d’où étaient extraites les propositions condamnées, il soutenait qu’on les avait mal comprises, qu’on en avait étendu la portée ou altéré le sens, chose en effet souvent incontestable, mais dont la première faute revenait au Syllabus, à cette manière de présenter à