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l’Europe, d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie particulièrement, l’épiscopat agissait dans le sens de la modération. Les évêques allemands, réunis à Fulda, avaient adressé au Vatican un mémoire où ils déclaraient unanimement que, dans l’état actuel des esprits, ils considéraient comme un malheur qu’une question aussi délicate fût introduite au concile. Ce mémoire avait fait impression à Rome. Pour triompher des hésitations du Vatican et des répugnances des évêques les plus en vue par la situation et le talent, les infaillibillistes de la presse recoururent à un procédé inouï en pareille matière, mais conforme à l’esprit de la démocratie sacerdotale, sur laquelle ils semblaient vouloir édifier une sorte de césarisme théocratique. Ils imaginèrent un immense pétitionnement, « une sorte de plébiscite en matière de dogme » dans les colonnes de l’Univers. L’église enseignée, disait M. Dupanloup, prétendait dicter d’avance ses décisions à l’église enseignante ; le bas clergé et la laïcité s’immisçaient indirectement au concile ; et leur voix, multipliée par les échos de la presse, menaçait d’y couvrir celle des évêques. Il semblait que la place autrefois laissée dans ces assises de l’église aux princes catholiques eût été usurpée par le journalisme et que, à l’instar des empereurs ou des rois du passé, ce nouveau souverain se crût le droit d’y faire prévaloir ses volontés.

Un des traits les plus particuliers de ces querelles ecclésiastiques, c’est qu’en réalité les deux camps adverses étaient d’accord sur le fond de la question. Leur dissentiment ne portait que sur la conduite à tenir au concile. Ceux qu’on appelait les libéraux, en France du moins, étaient pour la plupart aussi romains, aussi ultramontains, au sens propre du mot, que leurs adversaires. Ils avaient en toute occasion non moins amoureusement proclamé l’autorité du saint-siège. Cela, sauf de rares exceptions, était vrai de ceux qu’on nommait les derniers gallicans, des élèves de Saint-Sulpice, tels que M. Dupanloup, lequel avait passé sa thèse de docteur en théologie à Rome et précisément sur la question de l’infaillibilité. Cela était non moins vrai des anciens amis de La Mennais, tels que Montalembert et Lacordaire. Dans les fameuses libertés de l’église gallicane, ils n’avaient jamais vu que des servitudes vis-à-vis du pouvoir civil. Le gallicanisme, avec son faux air de césaro-papisme, avait révolté leur jeunesse par son zèle pour le pouvoir absolu des rois. Ils ne lui avaient pas pardonné l’esprit de servilité vis-à-vis du trône, dont, à tort peut-être, ils accusaient l’ancien clergé. Les doctrines romaines, les maximes politiques de saint Thomas, de