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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/855

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la facilité avec laquelle ses méthodes passent dans la pratique. Quand il s’occupe des fermentations, il ne voit pas seulement bouillonner le liquide fermentescible, dans les conditions exceptionnelles et artificielles du laboratoire ; il pense à la maturation des grappes, à la formation des levures qui vont décomposer la matière organique ; aux phénomènes qui auraient lieu si la nature était laissée à elle-même, à ceux qui vont s’accomplir dans la cuve de vendange. Quand il inocule à un animal un virus, il songe aux causes premières et aux moyens de transmission des épidémies, soit parmi les troupeaux décimés par le charbon, soit à travers les armées tout à coup envahies par le typhus. Son temps s’écoule entre les quatre murs de son cabinet de travail de la rue d’Ulm ; mais son esprit en a forcé les portes, et ce savant, qui a plus que tout autre avancé dans la science de la vie, passe, en pensée, son existence au milieu de la nature vivante et des êtres qui végètent, respirent et s’agitent sous les rayons du soleil.

M. Pasteur a souvent exprimé le regret de n’avoir pas continué ses premières recherches. Quels résultats auraient-elles donnés ? On ne peut le prévoir. S’il était possible, étant donnés des corps droits ou gauches, de renverser leur dissymétrie et de provoquer dans un corps vivant la formation de fécules et d’albumines de sens contraire au sens naturel, quelles seraient les nouvelles conditions de la vie ? « J’avais résolu, dit un jour M. Pasteur à son biographe[1], de renverser au profit de la végétation de certaines plantes, à l’aide d’un héliostat et d’un miroir réflecteur, le mouvement des rayons solaires qui viendraient à les frapper dès la naissance de leurs premières feuilles. » Quelles belles conceptions ! Pour reprendre ces travaux, il faudrait posséder à fond la chimie organique, être un habile physicien, et un physiologiste consommé. M. Pasteur les avait poussés assez loin pour reconnaître à la matière organique des propriétés que les minéraux et les produits artificiels ne présentent jamais. Il avait établi une barrière entre le monde organique et le monde minéral. Il en établit une seconde entre la matière organique et la matière organisée ou vivante, et prouva que jamais la vie n’apparaissait sans un germe. C’est ce qui résulta de son travail sur les générations spontanées, celui qui forme à nos yeux la préface de l’œuvre de M. Pasteur, faisant suite à l’avant-propos dont nous avons essayé de donner une idée.


II.

L’aimable et intelligent ignorant qui a écrit la vie de M. Pasteur cite quelques opinions anciennes, émises par d’illustres auteurs au

  1. Histoire d’un savant par un ignorant, p. 38.