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sujet des générations spontanées. Aristote disait : « Tout corps sec qui devient humide, et tout corps humide qui se dessèche engendre des animaux. » Virgile pensait que les abeilles naissent des entrailles corrompues d’un taureau. Encore au temps de Louis xiv, van Helmont écrivait : « Les odeurs qui s’élèvent du fond des marais produisent des grenouilles, des limaces, des sangsues. » Et il soutenait qu’en bourrant d’une vieille chemise l’orifice d’un pot contenant un peu de grain, on obtenait une potée de souris, le grain s’étant transformé en souris.

De nos jours, le système des générations spontanées n’est plus défendu que pour des animaux ou des plantes microscopiques. Il est vrai que les souris et les grenouilles ne naissent pas sans parens ; mais les torulas et les vibrions ? Mais tous ces infiniment petits qui pullulent dans les eaux stagnantes, dans les substances qui fermentent ou qui se putréfient ? D’où viennent tous ces êtres ? M. Bastian pense que certaines matières, dans des conditions favorables, ont le pouvoir de s’organiser, de même que d’autres ont le pouvoir de cristalliser. En France, M. Pouchet a été le plus habile, le plus sincère, et, nous le croyons, le dernier des défenseurs de l’hétérogénie : c’est le nom qu’il avait donné à sa doctrine.

Contre M. Bastian et contre M. Pouchet M. Pasteur soutint que la matière morte ne saurait se peupler d’êtres vivans sans qu’un germe y ait été déposé. Ce germe, d’où peut-il provenir ? Il serait bien difficile de répondre à cette question, si l’on parlait du premier germe vivant apparu à la surface du monde. C’est là un grand embarras pour les philosophes qui pensent que la terre, telle que nous la voyons, couverte de végétaux et peuplée d’animaux, est sortie de la nébuleuse primitive par une lente évolution et par le jeu régulier et ininterrompu des forces de la nature. D’après Darwin, toutes les variétés des vivans descendent de deux ou trois types, peut-être d’un seul type sorti des mains du Créateur. Cette hypothèse ne satisfait pas M. Bastian : « Autant vaudrait, dit-il, adopter le mythe d’Adam et Ève. » M. Herbert Spencer, n’ignorant pas que la théorie des générations spontanées n’a plus aucune valeur scientifique, essaie de se débarrasser de cette théorie, et prétend même qu’elle est contraire à son système de l’évolution, parce qu’aucun phénomène n’apparaît subitement et sans avoir été lentement préparé par une série d’autres phénomènes. Mais il est réduit à supposer qu’entre les plus humbles êtres et la matière morte il y a autant d’intermédiaires qu’entre eux et nous : hypothèse tout au plus utile à reculer la solution du problème, et d’ailleurs contraire à ce que nous savons de la vie. Car si l’organisation varie, la vie est une, elle est la même partout ; les cellules isolées des torulas et des bactéries se nourrissent et se reproduisent comme celles