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pour puiser avec pureté une goutte de jus dans un grain de raisin. Un dépôt ne tarda pas à se former au fond des liquides ; et ce dépôt, examiné au microscope, fit voir en abondance les filamens des bactéridies. Les cultures avaient réussi.

Ces bactéridies, obtenues ainsi en dehors de l’organisme, donnaient infailliblement le charbon à tous les animaux auxquels elles étaient inoculées. Les matras rangés dans l’étuve du laboratoire contenaient de quoi donner le charbon à des milliers d’individus. Le liquide filtré à travers la terre poreuse était inoffensif. La bactéridie elle-même était donc l’agent du mal.

Ces faits établis, que devait répondre M. Pasteur aux expérimentateurs qui l’avaient précédé ? À M. Paul Bert, tout simplement qu’il s’était trompé : il n’avait pas, comme il le pensait, détruit les germes dans le sang charbonneux qu’il avait inoculé. Mais MM. Jaillard et Leplat et M. Davaine ne s’étaient pas trompés. Ils s’étaient arrêtés en bon chemin, ne sachant pénétrer plus avant dans ce monde des infiniment petits, où M. Pasteur, grâce à des prodiges de sagacité, a seul pu se reconnaître. Voici ce que M. Pasteur parvint à établir. Quand un cadavre est abandonné à la putréfaction, il est presque toujours envahi par des vibrions, nommés vibrions septiques, et agens de la maladie dite septicémie. L’inoculation d’un sang putride donne la septicémie et la mort. Il ne faut pas confondre les vibrions septiques avec les bactéridies ; ils en diffèrent par la forme et plus encore par les caractères physiologiques : les vibrions sont anaérobies, les bactéridies sont aérobies. Le cadavre d’un animal mort du charbon se putréfie plus vite qu’un autre : dans le sang où l’air n’est plus renouvelé, les bactéridies périssent et au contraire les vibrions se multiplient. Au bout d’un certain nombre d’heures, un sang charbonneux est devenu un sang septique. De là l’erreur de l’expérience de Chartres : on avait bien commencé par le charbon, mais on avait fini par la septicémie, et c’est cette dernière maladie qu’on avait inoculée.

La méthode des cultures en dehors de l’organisme permit à M. Pasteur de connaître admirablement les conditions de vie de la bactéridie. Parmi les êtres microscopiques, les uns se reproduisent par scissiparité : un vibrion s’allonge, se rompt, et on a deux vibrions, D’autres produisent des germes, des graines véritables, dans lesquelles la vie se conserve à l’état latent, prête à renaître lorsque des conditions favorables lui seront fournies. Telle est la bactéridie. Lorsqu’on laisse vieillir la culture dans le liquide nutritif épuisé, on voit apparaître des grains brillans dans les longs filamens de la plante. Peu à peu ces filamens se rompent et disparaissent, et il ne reste plus qu’une poussière de germes. À partir de 44 degrés, la bactéridie ne se cultive plus ; à partir de 42 degrés, elle ne pro-