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duit pas de germes. De ces deux observations, la première donna lieu à une très curieuse expérience ; la seconde, à l’une des plus fécondes découvertes de notre temps.

Voici l’expérience. Jamais les oiseaux ne sont atteints du charbon. Pourquoi ? C’est que leur température est supérieure de quelques degrés à celles des mammifères. À 42 degrés, le développement de la bactéridie est déjà gêné ; la résistance vitale de l’animal suffit à le débarrasser du parasite. La température des oiseaux étant abaissée artificiellement, ils doivent prendre le charbon : M. Pasteur en fit l’essai sur des poules qu’on attachait dans l’eau froide : quand leur température descendait au-dessous de 40 degrés, leur sang était envahi par les bactéridies. Si le mal n’était pas trop avancé, on les guérissait en leur laissant reprendre leur chaleur naturelle.

Voilà maintenant la découverte. Mais, pour la bien faire connaître, il nous faut revenir un peu en arrière et parler d’un travail que M. Pasteur avait accompli chemin faisant. Il étudiait, et il avait pu cultiver, selon sa méthode, un très petit microbe, presque imperceptible au microscope, qui donne aux oiseaux la maladie appelée choléra des poules. Il s’aperçut que les cultures très anciennes où les microbes se conservaient depuis longtemps exposés à l’air ne donnaient plus la mort. L’animal inoculé éprouvait un malaise de quelques jours et guérissait.

Ce fut pour M. Pasteur un trait de lumière : la virulence était variable. Cette qualité propre à certaines espèces est assez mystérieuse, car personne ne saurait dire absolument par quel procédé un microbe qui pullule dans le sang attaque la vie de l’animal et provoque dans son organisme des désordres : pour la bactéridie, il a semblé probable que cet être avide d’oxygène en privait les globules du sang et que la mort par le charbon était une mort par asphyxie. Quoi qu’il en soit, la virulence est une qualité caractéristique de l’espèce ; M. Pasteur a dit qu’il ne fallait pas s’attacher outre mesure aux caractères morphologiques, si mal définis, si difficilement perceptibles chez les infiniment petits, mais chercher les caractères physiologiques. Le caractère propre des microbes des maladies contagieuses, le trait qui sépare ces infiniment petits d’autres espèces presque semblables, c’est qu’ils tuent en peu de jours les plus puissans animaux. Or ce caractère est variable. Ce signe distinctif de l’espèce n’est point immuable et s’efface avec le temps et suivant l’influence du milieu. C’est là une sorte de transformisme ; si la théorie de Darwin devait jamais trouver de vraies preuves expérimentales, il faudrait sans doute les chercher parmi ces espèces microscopiques pour lesquelles il est si facile de modifier le milieu et chez lesquelles les générations se