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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/938

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par M. Hénnequin ; la lettre que Narsi met sous le nez de Mme Pérelle comme une traite tirée sur son honneur est un accessoire prêté par l’Ambigu. En vain, parmi ces ingrédiens divers, circule encore l’esprit le plus vif, et tantôt le plus fin, tantôt le plus bouffon ; en vain, dans ces circonstances difficiles, les personnages continuent à vivre tant bien que mal et à parler plaisamment. Après ces complications, le dénoûment, fort joli par sa simplicité classique, paraît laisser le drame se dissoudre plutôt qu’il ne paraît le dénouer. Ce quatrième acte, confus, et qui paraît postiche, quoique l’action de l’ouvrage s’y resserre presque toute, ce malheureux quatrième acte, loin de satisfaire le public, l’exaspère ; il gêne les délicats. Il compromet le succès, déjà trop indécis : avons-nous, par notre étude, assez expliqué cette indécision ?

Toute la matière de cette pièce est excellente et neuve : personnages et dialogue sont dignes de l’auteur. Mais la forme, j’entends la forme scénique, est incohérente : neuve pour le premier et le troisième quart, renouvelée des classiques pour le second, elle est pour le dernier selon la méchante dramaturgie de ces modernes qui sacrifient presque tout à l’action. La différence de genre du premier et du troisième acte au second, et la différence des trois ensemble au dernier sont des disparates mortelles. La mauvaise ordonnance qui fait venir, dans une pièce d’abord épisodique, après un morceau de comédie soutenue, un regain d’épisodes, si acceptables que soient ces deux manières, est déjà faite pour déconcerter le goût ; survenant à la fin, une troisième manière, inférieure aux deux autres, ne peut qu’abîmer l’ensemble. Le piquant est que, sans doute, M. Meilhac avait commencé par imaginer cette fin, c’est-à-dire l’action, qui est le pire de l’ouvrage : pour mener cette action, il aura conçu des personnages si vivans qu’au lieu de s’y prêter, ils se sont divertis à babiller, sur des modes divers, pendant les trois quarts du temps convenu ; il les aura laissés faire, par dégoût de la besogne d’abord entrevue, et, sur le tard seulement, il aura repris et bâclé cette besogne. Ces contradictions, il faut le dire, sont d’un artiste, et, dans le désarroi de l’art dramatique, il n’est que trop facile de les expliquer. Malgré toutes les qualités que nous avons reconnues, malgré le talent de MM. Saint-Germain et Noblet, qui représentent Balaban et Roncerolles, malgré la verve de Mlle Magnier, qui figure Mme Barklay, malgré le zèle du reste de la troupe, la Ronde du commissaire n’aura peut-être pas une longue fortune ; mais si la comédie que nous espérons, la comédie nouvelle et de matière et de forme, doit paraître quelque part, c’est de M. Meilhac que nous l’attendons.

A l’heure qu’il est, sur tous les théâtres, la liquidation de la vieille fabrique se fait à de médiocres prix. Je m’étonne que la Comédie-Française, au lieu de faire débuter M. Duflos dans le don Carlos d’Hernani,