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coups de la gauche dynastique. L’opposition espagnole aurait donc par elle-même peu de chances pour le moment, s’il n’y avait toujours à compter avec l’imprévu au-delà des Pyrénées, et cette fois l’imprévu, c’est ce qui se passe depuis quelques semaines à Madrid et dans les provinces ; c’est cette espèce d’agitation ou d’insurrection universitaire qui s’est produite sans qu’on y ait songé, que les partis se sont hâtés naturellement d’exploiter et qui peut aujourd’hui, en définitive, créer quelques difficultés au ministère devant le parlement.

Ce qui n’était rien au début est devenu, en effet, un assez gros embarras, un assez inextricable imbroglio qu’on ne sait plus comment dénouer. Tout cela a commencé il y a un mois, à l’inauguration de l’année scolaire, par un discours qu’un professeur d’histoire libre penseur, M. Morayta, a prononcé, qui a été l’objet de quelques censures ecclésiastiques, et qui a passionné, divisé la jeunesse universitaire. Les uns ont protesté, les autres ont fait des ovations au professeur et se sont livrés à des manifestations bruyantes dans les rues, devant la maison de M. Morayta ou devant des bureaux de journaux. Des désordres sont survenus, c’était à peu près inévitable : la police, sous les ordres du gouverneur de Madrid, a eu à intervenir et elle paraît avoir mis quelque rudesse dans la répression ; elle a arrêté quelques-uns des manifestans, et elle a même envahi le palais de l’université sans s’arrêter devant îles protestations du recteur. Tout cela a fait une bagarre où il y a eu quelques blessés. Là-dessus les professeurs se sont émus de ce qu’ils ont considéré comme une violation des privilèges de l’université ; ils se sont réunis et bon nombre ont signé une pétition demandant au ministre de fomento, ou de l’instruction publique, la réunion du conseil universitaire pour assurer la liberté du professorat, la punition des agens de police qui ont mis de la brutalité dans la répression, l’adoption des mesures nécessaires pour faire respecter les droits des recteurs. Un certain nombre de professeurs, il est vrai, ont refusé de s’associer à cette manifestation et ont exposé les faits d’une autre façon. Le ministre de l’instruction publique, M. Pidal, a répondu par un ordre royal refusant la réunion du conseil universitaire, maintenant l’autorité des lois ordinaires, les droits du gouvernement et ordonnant une enquête sur les scènes de désordre qui venaient de se passer. Cette réponse n’a pas réussi, bien entendu, à calmer les esprits. L’agitation n’a fait que s’accroître et se compliquer. Le recteur de l’université de Madrid a dû donner sa démission. Les professeurs ont réclamé plus vivement que jamais pour leurs droits violés ; l’académie de jurisprudence elle-même s’en est mêlée et a déguisé à demi ses protestations en choisissant pour président l’ambassadeur du roi Alphonse à Paris, M. Manuel Silvela. Les étudians