savoir : « Si celui qui s’est fatigué à quelque chose, comme à poursuivre une fille, est cependant obligé de jeûner ? » Or, comme le dit avec raison Sainte-Beuve, si quelque Louis XI, ou quelque Philippe II, ou quelque Henri III, — pour ne parler que de ces pénitens illustres, — s’est fait une affaire de jeûner au lendemain d’une course libertine, il a pourtant bien fallu que le confesseur prit parti. La question de Filliucius peut donc bien nous étonner d’abord, mais quelque étonnement qu’elle nous cause, et pour bizarre que puisse paraître un semblable scrupule, il y a tout lieu de croire que l’honnête jésuite ne l’a pas imaginé, mais on le lui a proposé.
Les exemples seraient infinis. Qui dira que ce qu’il plaît à M. Ernest Havet d’appeler quelque part « la réjouissante mécanique des restrictions mentales » n’est pas peut-être né de la nécessité de concilier, en tant d’occasions que l’on pourrait rappeler, l’obligation du secret professionnel et celle du devoir public ? Sous le règne de Louis XIV, en 1678 ou 1679, le pénitencier de Notre-Dame avisa le lieutenant de police La Reynie qu’un grand nombre de femmes s’accusaient en confession d’avoir empoisonné leur mari. Voilà sans doute un terrible cas de conscience, et on peut discuter longtemps sur la dénonciation de ce pénitencier. Mais, puisqu’il crut devoir se décider à livrer en partie le secret de la confession, je le défie bien de l’avoir pu faire sans user de restrictions mentales, comme d’ailleurs, en cas analogue, j’en pourrais bien défier l’ordre des avocats et la faculté de médecine ensemble. Les problèmes de la casuistique, selon toute apparence, ne sont donc pas nés autrement que les questions du droit criminel ou les difficultés de la médecine légale. C’est la réalité, plus diverse, plus complexe, plus formule qu’on ne le croit en combinaisons imprévues, qui s’est chargée d’abord de les proposer aux méditations des casuistes. Et tous ensemble, jurisconsultes ou casuistes, comme les savans eux-mêmes opèrent sur les faits que leur livrent des observations de jour en jour plus particulières et des expériences plus délicates, ils ont travaillé, pour ainsi dire, sur la matière de siècle en siècle plus abondante que leur fournissait la corruption de l’humanité.
J’aimerais assez la république, disait je ne sais plus qui, si ce n’étaient les républicains. Reconnaissons ici que le vrai malheur de la casuistique fut de tomber entre les mains des casuistes de profession. C’étaient cependant, la plupart, de fort honnêtes religieux, et quelques-uns presque des saints. L’Espagne, encore aujourd’hui, s’honore, — avec d’autant plus d’orgueil peut-être qu’ils ont été plus violemment décriés, — des noms d’Azor et de Suarez, de Sanchez et même d’Escobar. On peut ajouter que lorsque mourut Sanchez, en 1610, toute la ville de Grenade suivit le convoi funèbre du modeste religieux, et il parait certain que, cinquante, ans plus tard, en 1650, le populaire de Madrid s’arrachait les lambeaux du dernier vêtement