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On a voté les crédits, on n’a pas voté l’armée coloniale, et on hésiterait probablement encore, par des considérations électorales, à donner à M. le ministre de la guerre le droit de puiser dans la masse des disponibles pour remplacer les soldats de l’armée active qu’il pourrait fournir. En d’autres termes, à l’heure qu’il est, nos politiques sont peut-être plus embarrassés, plus perplexes que jamais dans une situation nécessairement aggravée. C’est là, on en conviendra, une manière de traiter les affaires qui n’est point de nature à éclairer, à rassurer le pays sur ces entreprises qu’on lui propose sans pouvoir lui dire ce qu’on veut réellement.

Un des traits caractéristiques du moment présent, en effet, c’est cette difficulté d’arriver à des résolutions précises et sérieuses, d’aboutir, selon le mot de M. Gambetta, et cette difficulté n’est pas seulement apparente dans la politique des expéditions lointaines, elle est sensible en tout, dans les propositions du gouvernement, dans les discussions, dans l’incohérence des lois, dans la façon dont on pratique le régime parlementaire. Le fait est qu’on n’aboutit pas ou qu’on n’aboutit qu’à la dernière extrémité, sous la pression d’une nécessité impérieuse. Cette loi électorale du sénat, qui a fini par être votée récemment, en est certes un des plus frappans exemples. M. le président du conseil a imaginé pour occuper les partis, pour illustrer l’année, cette savante diversion de la révision constitutionnelle. Cette révision, œuvre d’une frivole tactique, elle a commencé par être aussi bruyante que laborieuse ; elle a été néanmoins accomplie selon les vues de M. le président du conseil, et la première, la seule conséquence de cette réforme adoptée dans la confusion était la nécessité d’une réorganisation du sénat par un nouveau système électoral. Soit ; après tout, si on l’avait voulu, il restait encore assez de temps pour voter cotie loi, même une loi préparée avec réflexion et suffisamment mûrie. On a si bien fait cependant qu’on n’est arrivé à voter une loi destinée à transformer le sénat qu’à la dernière heure, à la dernière minute ; on a tout expédié au pas de course, dans la confusion, et encore a-t-il fallu, pour ne point bouleverser toutes les conditions légales, ajourner les prochaines élections sénatoriales au 25 janvier. Un premier résultat de cette manière de bâcler les plus graves affaires du pays, c’est que la session législative, qui, selon la constitution, s’ouvre avant la mi-janvier, devra s’interrompre aussitôt et qu’il y aura inévitablement un mois de travail perdu. Un second résultat, c’est qu’on n’a pas même songé, — on ne s’en est pas donné le temps, — à faire une loi sérieuse telle que le sénat ne pût en souffrir ni dans son autorité, ni dans sa dignité et son indépendance. L’unique préoccupation a été d’aller vite, de profiter de la circonstance pour faire une loi de parti, d’ouvrir le Luxembourg par un nouveau système de répartition des