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électeurs sénatoriaux, à une foule de candidats obscurs, députés fatigués, notaires de province, dont le seul titre est de se dire républicains. Le succès de cette tactique n’est point impossible. On en a déjà le vague instinct. Le sénat lui-même commence à se sentir d’avance diminué et affaibli. S’il échappe par le prochain scrutin au rôle modeste de chambre d’enregistrement et de consultation que M. le président du conseil, dans son libéralisme éclairé, dans son zèle pour les institutions, lui promettait récemment, il aura de la chance. De sorte que cette grande réforme improvisée dans les conciliabules de parti, après avoir commencé par du temps perdu, risque de finir en laissant le sénat atteint dans son essence constitutionnelle, dans sa force morale. Et c’est là ce qu’on appelle affermir la république ! L’œuvre est digne de cette stérile et médiocre année qui s’achève ; mais s’il y a un point où les politiques du jour viennent de montrer leur impuissance, cette impossibilité d’aboutir qui est un des signes du temps, c’est assurément le budget.

Oui, en vérité, voilà un spectacle bien fait pour édifier et rassurer la France, à qui on demande depuis quelques années plus de trois milliards de contributions ! En pleine paix, sans qu’il y ait eu une circonstance sérieuse, une apparence de crise qui ait pu détourner et absorber les pouvoirs publics, on n’a pas pu réussir à voter le budget de 1885, et pour y suppléer on n’a pas pu même arriver à observer des règles qui sont les garanties les plus essentielles de l’administration de la fortune nationale depuis un siècle.

Ce n’est point cependant que le temps ait manqué aux politiques du Palais-Bourbon : ils avaient le budget entre les mains depuis le 28 février : ils ont eu tout le temps voulu pour interroger la situation financière, pour étudier ce double phénomène de la diminution des recettes et du progrès des charges publiques, pour chercher enfin les moyens de couvrir les déficits créés par un série d’imprévoyances, par l’excès des dépenses inutiles et des entreprises ruineuses. Ce n’est pas non plus que la commission des finances ait été gênée dans son travail par des oppositions importunes et batailleuses : depuis que les républicains sont au pouvoir, ils ont inauguré une nouvelle ère de garanties libérales, ils ont systématiquement exclu des commissions financières les oppositions qui, sous d’autres régimes, avaient la place due aux minorités. Eux seuls et leurs amis ont le droit de scruter le budget dans ses mystères et d’en profiter. S’ils ont montré leur impuissance, ce n’est point du tout qu’ils aient été troublés ou ralentis par des circonstances imprévues. L’explication est plus simple, elle est dans la manière même dont la commission républicaine des finances comprend et remplit son rôle. Dès qu’elle est nommée, elle n’a plus d’autre pensée que de retenir le budget le plus longtemps possible ; elle n’est jamais pressée.