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vivement l’opinion publique, c’est le parti des adversaires du pouvoir ministériel qui me parait le plus redoutable, et c’est contre lui que je crois le plus urgent de lutter. Je sais bien qu’on entend souvent demander la suppression du sénat. Il est entré, il entrera dans la maison des gens expressément venus pour la brûler. Je sais bien que, frein ou sabot, la chambre haute est considérée par toute une école de vieux démocrates comme une machine à porter au musée des souverains, ou, pour parler un langage plus républicain, comme un instrument démodé de la souveraineté nationale ; mais on serait injuste envers le sénat si l’on ne reconnaissait pas une certaine vitalité dans sa constitution et sa composition actuelles. On serait non moins injuste envers le pays si on ne reconnaissait pas que l’idée des deux chambres y est considérée comme protectrice des grands intérêts de la nation. La révision de la constitution, qu’on a faite au mois d’août 1884, était dirigée contre le sénat, et on peut dire qu’elle a tout à fait avorté. Le congrès a reculé devant la fermeté avec laquelle la chambre haute a défendu ses attributions financières. S’il est donc vrai que la majorité de la chambre des députés cherche de temps à autre à humilier le sénat, elle cherche bien davantage à humilier le ministère, et elle y réussit beaucoup mieux. Le pouvoir ministériel, voilà l’ennemi pour elle ! Si le sénat est jeté par-dessus bord un jour ou l’autre, en même temps que le pouvoir ministériel, ce ne sera que par surcroît. Ce qui est assez remarquable d’ailleurs, c’est que plus l’institution ministérielle est ébranlée, plus les ministres deviennent inébranlables. Peut-être la raison en est-elle qu’il est inutile de s’acharner pour ôter la vie à ceux qu’on a réussi à rendre impuissans.

Si l’on ne parvient pas à arrêter le mouvement que nous dénonçons à tous les esprits réfléchis, on peut être sûr que le jour où il se formerait dans le sénat une majorité contre le système ministériel, il ne serait pas difficile à cette majorité de trouver un appui dans une majorité correspondante de la chambre des députés. On n’abolirait peut-être pas le sénat, on abolirait les ministres. Le résultat ne serait guère plus heureux, et le pays aurait à en souffrir dans des proportions incalculables. Voilà pourquoi nous combattons en ce moment les adversaires du pouvoir ministériel, non pas que les adversaires du sénat nous paraissent moins dangereux, mais en présence de deux dangers, c’est au plus pressant des deux qu’il faut d’abord faire face.

Le budget général des dépenses et des recettes de l’état, tel qu’il apparaît dans ce grand ordre qui constitue notre système financier, ne peut exister avec tous ses avantages et produire tous ses effets politiques, économiques et moraux que dans l’hypothèse