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par contre, il a des charges ; les dotations sont les impôts, les charges sont les dépenses. Le marchand, dit Simon Stevin, parle de débet, crédit, balance. Il fait « Poivre, Gingembre, Capital, Caisse si bien débiteurs et créditeurs « comme les hommes. » Et il conclut en demandant qu’on traite les opérations des princes comme celles des marchands, et qu’on les considère également comme des hommes.

Essayée, abandonnée, reprise et développée comme elle l’est aujourd’hui, la comptabilité en partie double est devenue une nécessité. Sans elle on ne pourrait pas se rendre compte des opérations immenses et compliquées d’un trésor public dans les états modernes. Les budgets se suivent et se succèdent comme les fils suivent les pères et leur succèdent. On peut faire la liquidation de chacun d’eux, et les liquidations peuvent être comparées entre elles. Comparer, c’est s’instruire ; c’est, en constatant les fautes commises, se mettre en garde contre les fautes à commettre.

Personne aujourd’hui ne conteste la comptabilité en partie double. On peut croire qu’en la poussant jusqu’à personnaliser trop d’êtres fictifs, on s’expose soi-même à prendre des non-sens ou même des négations pour des réalités ; mais régler les comptes des budgets après qu’ils ont été exécutés, c’est une des garanties les plus nécessaires du gouvernement parlementaire. Le parlement doit rendre une loi pour arrêter le compte du budget écoulé, comme il doit en rendre une pour préparer l’exécution du budget à venir. C’est le seul moyen que le pays ail à sa disposition pour apprendre sa propre histoire financière et pour apprécier ce qu’il doit exiger qu’on fasse, pour maintenir ou améliorer la fortune publique. Personne ne le conteste, ce qui n’empêche pas que les lois de comptes ne se votent pas. Ce n’est qu’au bout de quatorze ans qu’on a voté la loi des comptes de 1870 et aucune des années ultérieures n’a encore été l’objet d’un compte arrêté par la loi. Le caractère de personnalité comptable du budget est considéré par tout le monde comme une nécessité, mais on n’en tire pas davantage qu’on devrait en tirer.

Après avoir passé en revue les principes de notre budget français, il nous reste à voir le cas que la chambre des députés en a fait. La législature est sur le point de finir. On pourra porter des jugemens divers sur son œuvre ; mais ce qu’on pourra dire de plus fâcheux pour sa mémoire, c’est que, composée, comme elle l’a été, d’un grand nombre d’hommes de bonne volonté, d’un grand nombre d’hommes qui, môles à la vie de la nation, savent à quel point la vie nationale dépend de la gestion des finances publiques, c’est que cette législature, dominée par quelques hommes politiques