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vie ordinaire. Mon théâtre, c’est ma toile ; mes acteurs sont des hommes et des femmes, qui, au moyen de certaines actions et de certains gestes, représentent une sorte de dumb show, c’est-à-dire de drame mimé. » Ces drames de Hogarth sont au nombre de quatre : le Mariage à la mode, les Deux Apprentis, l’Histoire du libertin, l’Histoire de la prostituée. En les rangeant ainsi, nous intervertissons sciemment l’ordre dans lequel ils ont été composés et publiés, comme on déplace des tableaux dans un musée pour des raisons de contraste ou d’harmonie, ou pour les éclairer d’une façon plus favorable.

Un alderman de la Cité, homme riche, cela va sans dire, marie sa fille au fils d’un comte. On lit le contrat, et, suivant l’usage, personne n’écoute. Immobile dans son fauteuil, où il est cloué par son pied goutteux, le vieux seigneur a l’air de Jupiter Olympien. L’alderman, tout glorieux, mais avec un sourire légèrement narquois, semble dire : J’ai pris mes précautions. Cependant des plans de constructions fastueuses, étalés sur la table, indiquent qu’on se dispose à recrépir les vieux donjons du noble comte avec les guinées roturières de l’alderman. Le vicomte prend élégamment une prise en tournant le dos à sa femme, et, de son côté, la vicomtesse s’amuse à faire passer son mouchoir de dentelles à travers sa bague de mariage, pendant qu’un jeune légiste, Silvertong, pose sa candidature à ce cœur inoccupé. Quel sera le sort de ces deux époux si tendres, si bien assortis ? Regardez, dans un coin de la salle, ces deux chiens qui enragent d’être accouplés ensemble et se mordent à belles dents : ils vous hurlent les intentions de l’auteur.

La suite répond, et ne répond que trop bien à ces débuts. Le jeune lord passe ses nuits dans la débauche, ses journées chez les charlatans de Panton street, qui joignent à l’exercice apparent de la médecine une profession moins honorable et plus lucrative. La ieune mariée se laisse entraîner dans une intrigue avec l’avocat Silvertong. De là une catastrophe. Averti, en effet, par ses espions, le comte a surpris les coupables dans une maison mal famée. Il entre dans la chambre, l’épée à la main ; un combat s’ensuit, dans lequel Silvertong blesse mortellement le mari outragé. Pendant que le meurtrier enjambe la croisée pour s’enfuir, la jeune femme tombe à genoux et implore son pardon. C’est ce moment suprême que l’artiste a saisi. Le comte s’appuie à un meuble ; sa main défaillante laisse tomber son épée, mais sa frivole petite figure d’enfant blasé, contractée par la mort, essaie de grimacer encore l’impertinence et le dédain.

Silvertong est arrêté dans sa fuite, jugé, condamné, exécuté ; la comtesse entend crier, sous ses fenêtres, les « dernières paroles » du malheureux ; elle s’empoisonne ; ainsi finit le drame. L’action,