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malheureux voltigeur assassiné, le 2 mars, près de Blida. À ce moment, un brouillard épais envahit presque subitement la montagne ; quelques détonations retentirent. Devançant avec une trentaine d’hommes la colonne dont il avait pris la tête et marchant à l’aventure, le général Berthezène s’était trouvé inopinément au col de Tiza, au-dessus d’une gorge où les Beni-Sala avaient caché leurs troupeaux et leurs familles ; c’était là que des coups de feu venaient d’être échangés à travers la brume. On entendait les clameurs des femmes, les mugissemens des bœufs, les appels des hommes ; mais tout ce bruit allait s’éloignant et la poursuite était impossible. Un obusier de montagne donna le signal attendu ; alors les gourbis furent livrés aux flammes, les arbres abattus, les jardins ravagés, les récoltes détruites ; sans la brume, le dommage eût été plus grand. Quand, à la tombée du jour, les colonnes rallièrent la réserve, les gens de Blida, qu’on laissa partir, s’en retournèrent en louant Dieu qui avait envoyé le brouillard pour protéger contre les infidèles l’existence de ses serviteurs. Ainsi cette seconde expédition ne produisit pas sur les populations indigènes l’effet moral qu’avait attendu le commandant en chef. Comme le col de Tiza est de 400 mètres plus élevé que le Ténia de Mouzaïa, le général Berthezène disait en rentrant dans Alger : « Nous avons franchi l’Atlas par un chemin bien plus difficile, et pourtant nous ne ferons pas de bulletin comme le général Clauzel. » Il n’y eut pas de bulletin, en effet ; mais il y eut un ordre du jour ; la différence n’était que dans les mots ; pour le fond, c’était la même chose.


II

L’administration civile, sous l’autorité du général Berthezène, n’était pas beaucoup plus remarquable que la direction des opérations militaires. Il s’était laissé circonvenir par des Maures, dont le principal mérite à ses yeux était d’avoir été mal vus du général Clauzel ; tels étaient Bouderba et Hamdan-ben-Khodja, des intrigans effrontés dont l’influence, on aura peine à le croire, s’étendait jusqu’à Paris, jusqu’au ministère de la guerre. Il n’est que juste néanmoins de porter au compte du général Berthezène, et peut-être même au leur, deux actes destinés à réparer, dans une certaine mesure, l’erreur de l’administration précédente ; l’un est un arrêté du 24 mai qui accordait aux propriétaires dépossédés pour cause d’utilité publique, une première indemnité équivalente à six mois de loyer ; l’autre est un arrêté du 10 juin, qui convertissait en séquestre la confiscation sommaire de toutes les propriétés de l’ancien dey, des anciens beys et des anciens janissaires déportés.

La panique, dont la réduction des troupes et le remplacement du général Clauzel avaient donné le signal, était déjà oubliée ; il