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semblait au contraire que, sinon la régence, la Métidja du moins tout entière fût déjà conquise, soumise, exploitée, cultivée, mise en valeur. Malheureusement, les gens qui allaient si vite en besogne n’étaient ni de ceux qui font la conquête, ni de ceux qui, après les soldats, viennent labourer la terre. Alger était en proie à la spéculation et à l’agiotage ; c’était une fièvre. Depuis quelques mois, pêle-mêle avec les volontaires, dont la confiance, il faut bien le dire, avait été trop souvent surprise, arrivaient très volontairement des aventuriers sans ressources qui venaient chercher pâture dans un pays neuf. En allant au gagnage, plus d’un rencontrait inopinément la fortune. Quelle chance ! il s’était couché vagabond, il se réveillait propriétaire. L’affaire était des plus simples.

Dans Alger, un certain nombre de maisons étaient vides, aux environs, presque toutes ; les familles musulmanes, qui les occupaient, s’en étaient allées, chassées de celles-ci par la guerre et l’occupation militaire, sorties de celles-là pour éviter le voisinage et le contact des infidèles. Les services publics, l’état-major, les principaux fonctionnaires s’étaient installés dans les maisons de ville, les troupes dans les maisons de campagne ; dans les plus éloignées même, des Arabes étaient venus se blottir. Ces habitations, si élégantes naguère, faisaient pitié à voir. Le soldat est grand destructeur ; à peine arrivé, le général Clauzel avait fait à son intérêt comme à sa raison un appel malheureusement inutile : « On dégrade les maisons, avait dit le général en chef, et les soldats ne réfléchissent pas qu’ils s’enlèvent des moyens de casernement pour l’hiver ; on enlève les portes, les bois des fenêtres pour les brûler. Les chefs sont responsables de toutes les dégradations ; la gendarmerie fera des patrouilles pour arrêter ceux qui les commettent. L’armée doit réfléchir qu’elle ne saurait donner une trop haute idée au pays d’Afrique de la noblesse de son caractère. » Bien n’avait fait, rien ne devait faire jusqu’au jour où, soit dans les casernes de la ville, soit dans les forts, soit dans les nouvelles casernes de Mous-tafa-Pacha, il devint possible de loger la division d’occupation. En attendant, toutes ces maisons de ville ou de campagne plus ou moins dégradées ou saccagées étaient des non-valeurs pour leurs propriétaires ; aussi ne cherchaient-ils qu’à s’en défaire à très bon compte.

L’usage du pays était de vendre à toujours les propriétés ou de les aliéner pour un terme lointain, quatre-vingt-dix-neuf ans par exemple, rarement contre argent comptant, d’habitude moyennant un contrat de rente. Dans les circonstances difficiles où se trouvaient les indigènes, ils n’étaient pas exigeans ; le taux de la rente était calculé au plus bas, si bas que, dans la plupart des transactions, une moyenne de quelques centaines de francs était suffisante.