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diminue ; le travail voit augmenter sa part relative, et, à plus forte raison, sa part absolue. » Capitalistes et ouvriers, tout le monde gagne, mais la part du travail devient de plus en plus grande. La richesse générale augmente, mais sa répartition change. En voici deux exemples :

D’après M. Bouchard, d’Angers, le produit annuel de l’agriculture du département de Maine-et-Loire a augmenté, depuis-1840, de 40 à 50 millions qui se répartissent ainsi : 12 millions aux propriétaires, c’est-à-dire au capital ; 17 à 18 millions aux ouvriers et domestiques, c’est-à-dire au travail et le reste aux fermiers et métayers, qui, outre le capital d’exploitation, représentent encore le travail.

Dans un petit livre intitulé : un Heureux Coin de terre, que M. le comte de Montalivet a écrit peu de temps avant sa mort, il a comparé l’état économique de son pays natal, le Sancerrois, en 1820, à l’époque où, jeune homme, en vacances de l’École polytechnique, il le parcourait, le fusil sur l’épaule, et puis, en 1878, lorsque, vieillard à qui l’expérience de la vie avait appris à bien juger les choses sans les lui présenter sous un aspect trop sombre, il revoyait ses chères campagnes ; et son étude peut être résumée dans ce passage d’une de ses dernières pages : « En même temps que le revenu de la propriété doublait, les salaires augmentaient dans une proportion deux ou trois fois plus forte. Heureuse et double progression qui a penché, Dieu merci ! du côté de ceux qui souffrent ! » N’est-ce pas la réalisation complète du principe de Bastiat ? Gardons-nous d’attaquer ce principe ; il est la sauvegarde de notre état social ; et, si ce qu’on appelle les souffrances de l’agriculture provient jusqu’à un certain point de ce que les ouvriers souffrent moins qu’autrefois, ne nous donnons pas le ridicule de nous en plaindre. Mais ce n’est pas une raison pour nous endormir dans les illusions d’un optimisme trop théorique. Examinons la question sous toutes ses faces, en gens pratiques.

L’économie politique suppose que rien n’a été entravé dans le libre développement de la société. Or en est-il réellement ainsi ?

En 1846, la population agricole de la France formait encore les trois quarts de sa population totale ; aujourd’hui, elle atteint à peine 65 pour 100. Les campagnes se dépeuplent au profit des villes. Cette concentration a été en grande partie le résultat de l’établis- ; sèment des chemins de fer. Les grandes villes ont servi de jalons pour le tracé des principales lignes. Dès lors, tous les avantages naturels, toutes les ressources industrielles et commerciales qui avaient déjà produit le développement de ces villes ont été multipliés par les voies ferrées qui les traversent. Leurs manufactures, trouvant plus de facilité pour obtenir leurs matières premières et