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lui disant : « Voilà les yeux qui nous ont vus et la langue qui nous a trahis. » A dater de ce moment, nous passons du romanesque au réel. Il est certain qu’embarqué à Tunis au mois de juin 1830, il prit terre à Sidi-Ferruch en même temps que l’armée française, et que M. d’Aubignosc, qui l’avait amené, l’employa dès lors comme interprète. Son patron ayant été remplacé à la suite de la révolution de juillet, il fut dénoncé au général Clauzel et arrêté comme entretenant avec Tunis une correspondance interlope qui se trouva être, au contraire, toute dans l’intérêt de la politique française. À ce propos, le général en chef eut l’occasion de le voir ; il le prit en gré et l’attacha comme mamelouk à sa personne.

Tandis que la colonne se remettait en marche, on apercevait sur la droite la brigade Achard descendant de la montagne ; retardée par la difficulté des chemins, elle ne put joindre qu’au bivouac de » Bou-Farik. Avant d’y arriver, le corps expéditionnaire avait eu à traverser, sur une suite de petits ponts en briques, un marais formé par l’expansion d’un ruisseau sans profondeur et presque sans courant ; c’est ce passage qu’on a nommé le défilé des Dix-Ponts. Bou-Farik était, à cette époque, un lieu inhabité, désert au moins six jours par semaine ; le lundi seulement, il s’y tenait un marché d’une assez grande importance. Ce fut sur l’emplacement de cette réunion hebdomadaire, un peu au-dessus du niveau des terres humides, que le bivouac fut installé, chaque brigade occupant une face d’un carré dont le quatrième côté était fermé par la cavalerie ; le quartier-général, l’artillerie et les bagages au centre. Il plut toute la nuit ; le silence ne fut troublé que par le glapissement des chacals.

Le lendemain, 18, les feux de cuisine eurent de la peine à s’allumer sous la pluie ; les hommes ne purent manger la soupe que très tard, de sorte qu’il était déjà midi quand la marche fut reprise dans l’ordre suivant : la cavalerie en tête, un bataillon de la brigade Achard, une section d’artillerie, les trois autres bataillons de la brigade, une compagnie de sapeurs. Après cette avant-garde venaient le reste de l’artillerie, la brigade Duzer, la seconde compagnie de sapeurs, les bagages, escortés par la gendarmerie, la brigade Hurel, le bataillon du 21e en arrière-garde. Les zouaves marchaient en éclaireurs sur les flancs de la colonne. De distance en distance, on rencontrait des troupeaux et des groupes d’Arabes qui regardaient passer les troupes ou qui s’approchaient même pour leur vendre de la volaille, des œufs, du lait, du beurre. L’attitude de ces gens-là était absolument pacifique. Déjà on apercevait au pied de l’Atlas, au-dessus de la forêt d’orangers qui sert de ceinture à Buda, les minarets de ses mosquées, lorsque, sur