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la main à tous les princes qui l’entouraient. Il avait beaucoup plu dans la nuit ; comme par enchantement, le temps s’était remis au beau. La cérémonie, qu’un ciel radieux favorisa jusqu’au bout, ne fut troublée par aucun accident, et de la Sprée jusqu’à l’Isar, toute l’Allemagne en parla.

Peu s’en était fallu cependant que ce jour de fête ne se transformât tout à coup en un jour d’épouvante, d’horreur et de sang. Toute cette foule joyeuse, accourue de toutes parts pour saluer l’empereur et la Germania, ne se doutait pas qu’elle venait d’échapper à un effroyable danger ; elle avait passé à côté d’une catastrophe sans la voir. La veille, à la tombée de la nuit, deux hommes, l’un compositeur d’imprimerie, l’autre ouvrier sellier, étaient montés au Niederwald par la route préparée pour le cortège impérial. Le plus jeune, qui n’avait que vingt ans, portait sous son bras un paquet qui contenait une bouteille et une cruche de grès. Dans la cruche et dans la bouteille il y avait de la dynamite, des capsules et une mèche. Ils s’arrêtèrent à dix minutes du monument, près d’un drain qui traversait la route en biais. Une ouverture y avait été ménagée ; ils en profitèrent pour y déposer leur dynamite ; puis, ayant déroulé la mèche, ils l’enfouirent sous des feuilles et des herbes, en ayant soin de laisser à découvert l’un des bouts, pour être sûrs de le retrouver. Après quoi ils retournèrent à Rüdesheim, où ils ne réussirent à se loger dans aucune hôtellerie, tant la Germania avait attiré de curieux ; mais un tailleur obligeant consentit à leur offrir un gîte.

Ces deux scélérats, dont le visage n’avait rien de rébarbatif ni de farouche, étaient Prussiens l’un et l’autre. Ils arrivaient tout courant de la très industrieuse cité d’Elberfeld, où s’était tramé le sinistre complot. On leur avait représenté que, le 28 septembre, « toute la compagnie, die ganze Cesellschaft, » se trouverait rassemblée sur la route du Niederwald, que la destinée leur offrait une occasion unique de délivrer le monde d’un empereur et d’une dizaine de princes, de frapper un de ces coups qui font trembler la terre et dont elle garde à jamais la mémoire. On n’avait pas eu besoin de leur en dire plus long ; ils avaient senti tout de suite la beauté de leur entreprise, et ils s’étaient mis en chemin avec un joyeux empressement, comme des gens qu’on invite à une partie de plaisir. Sans doute, ils dormirent d’un bon somme chez l’obligeant tailleur de Rüdesheim qui les hébergea sous son toit. Le lendemain, dès la première heure, ils étaient à leur poste. Quand les cloches, sonnant à toute volée, et les fanfares des trompettes annoncèrent l’arrivée du cortège, ils venaient de se séparer. Küchler faisait le guet ; Rupsch, chargé de l’exécution, fumait an cigare qui devait lui servir à allumer la mèche.

Les experts ont affirmé que, dans les conditions où avait été préparé