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modérées et sensées du pays, mais parmi les turbulens et les faméliques, parmi ces radicaux, auxquels on dit parfois de gros mots sans cesser de les ménager, en espérant les avoir encore pour alliés. Et c’est ainsi qu’on est arrivé assez vite à cet état singulier où toutes les idées et les plus simples notions de régularité sont confondues, où le conseil municipal de Paris brave tous les jours le gouvernement, sans parler du bon sens, et où un ancien préfet de police amuse le public avec les secrets d’une administration de l’état pendant que M. le ministre de l’intérieur lui-même fait du pseudo-socialisme dans ses discours en promettant aux ouvriers ce qu’il ne peut tenir. On est arrivé à cette situation où les compromissions de politique intérieure enchaînent la liberté du gouvernement jusque dans les affaires où les intérêts, le drapeau et l’honneur du pays sont engagés. Si ce qu’on appelle aujourd’hui faire du gouvernement consiste tout simplement à continuer ce qu’on a si bien pratiqué depuis quelques années, si M. le président du conseil croit se tirer d’affaire et suffire à tout avec des expédions, en palliant les déficits de finances jusqu’aux élections prochaines des députés, en dissimulant ses embarras du Tonkin, en changeant de ministre de la guerre, il est la dupe d’une étrange méprise. La majorité républicaine, qu’il se flatte d’avoir obtenue dans les élections sénatoriales, ne lui servirait à rien, si ce n’est peut-être à vivre d’une vie médiocre et contestée ; elle ne serait pour lui qu’un moyen de prolonger, d’aggraver une situation pénible pour le pays, dangereuse assurément pour la république elle-même, et il n’aurait puisé qu’une force apparente d’un instant dans ce scrutin du 25 janvier, dont il n’aurait pas compris le sens.

Quelles que soient d’ailleurs les idées ou les illusions de M. le président du conseil sur le caractère et la portée de ces élections d’hier, il y a un point de notre politique où il ne peut plus désormais différer de prendre un parti : c’est cette affaire du Tonkin et de la Chine qui se traîne depuis si longtemps dans les obscurités et les équivoques, que le pays est impatient de voir se terminer ou s’éclaircir. Ce qu’on demande à M. le président du conseil, ce n’est pas de pallier ses embarras ou de dissimuler les difficultés d’une entreprise d’où il faut sortir à l’honneur de la France, puisqu’on s’y est engagé ; ce qu’on lui demande, c’est d’avoir une opinion et une résolution, de mettre enfin quelque suite dans ce qu’il fait. Jusqu’ici, il faut bien l’avouer, il a eu un peu toutes les opinions et il a plus d’une fois changé de résolutions ; il a été tantôt pour l’occupation restreinte du Tonkin, tantôt pour l’extension de la conquête jusqu’à Lang-Son, un jour pour la politique des gages, un autre jour pour la guerre avec la Chine. A l’heure qu’il est, autant qu’on en peut juger par sa réponse à l’interpellation qui lui a été adressée dans la première séance de la session, il parait être pour une action sérieuse,