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Mers-el-Kébir. Le lieutenant colonel Auvray, retenu à Tanger par le pacha gouverneur de ce port, né put ni se rendre à Fez ni même faire parvenir une lettre au sultan ; il fut obligé de se rembarquer. Ce fut pour le général Clauzel un échec d’un nouveau genre et qui devait avoir des suites.

Le rappel précipité d’une grande partie de l’armée en France avait jeté la panique dans Alger ; closes les boutiques des brocanteurs, clos même les cabarets ; on ne voyait que mercanti faisant leur paquet à la hâte et courant au port chercher passage sur quelque navire en partance ; les juifs tremblaient de peur ; les Maures relevaient la tête. La terreur des uns, l’arrogance des autres, n’eurent plus de limites, lorsqu’ils apprirent l’évacuation prochaine, l’abandon de Médéa, mesure fatale dans tous les sens du mot ; mais qu’y faire ? Ce n’était pas lorsque les troupes françaises allaient être réduites à moins de dix mille hommes, qu’on en pouvait laisser deux mille cinq cents si loin, au-delà de ces rudes montagnes, avec l’obligation de les ravitailler sans cesse. Et ces deux mille cinq cents, à quelles extrémités devaient-ils être déjà réduits, après un seul mois de séjour, puisque le général Danlion, inquiet pour sa retraite, demandait qu’on vînt à sa rencontre, au moins jusqu’au Ténia ? Était-ce la guerre qui les avait décimés ? Non, car l’action du général au dehors s’était bornée au saccagement au moins fâcheux d’une tribu peu fautive, mais qui avait payé pour une autre, parce que celle-ci, très coupable, avait eu la précaution de se mettre hors d’atteinte. A l’égard des Arabes et des Kabyles, le principe de la responsabilité collective peut être utile et même considéré comme juste : encore faut-il qu’il soit équitablement appliqué ; c’est de quoi ne s’était pas inquiété le général Danlion. En fait, la garnison de Médéa succombait à la misère ; mal abritée contre la pluie et le froid, n’ayant ni le vivre ni le coucher, ni pain ni paille, elle était en proie à la dyssenterie.

Le 29 décembre, une brigade de quatre bataillons partit d’Alger, sous les ordres du général Achard ; elle arriva le 31 au Ténia. Tout était nouveau pour les Européens sous ce climat bizarre ; il pleuvait et il neigeait dans la montagne et en même temps un vent du sud, sec et chaud, la traversait par bouffées violentes. Le 1er janvier 1831, dans l’après-midi, on vit arriver le général Danlion et ses troupes ; transportés sur des mulets, sur des brancards, sur des couvertures tenus aux quatre coins par les camarades, les malades étaient nombreux. Les gens de Médéa qu’on abandonnait à eux-mêmes s’étaient bien conduits jusqu’au bout ; le génie avait réparé leurs brèches, l’artillerie mis leurs canons en état ; ils promettaient de se bien défendre. Au fond, ils n’étaient pas trop fâchés de voir partir une