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un navire si lourd, qu’il peut difficilement se passer de remorque. Le père Fournier le définit ainsi : « une grosse galère à voiles et à rames dont les forçats voguent sous couverte. « Sur la galère, les retranchemens étaient mobiles ; on les élevait à l’heure du combat ; la galéasse est toujours entourée « de pavesades hautes, solides, permanentes, » qu’on a garnies de meurtrières, — feritori, — par lesquelles les soldats tirent leurs mousquets et leurs arquebuses. Entre l’extrémité des bancs, recouverts d’un pont très léger, — le catastrôma des anciens, — et les pavesades, règne de chaque bord un large courroir sur lequel la garnison du vaisseau se range pour combattre ou se couche pour prendre du repos. La galéasse, on le voit, était un navire à batterie ; elle était de plus un navire à dunette : deux châteaux, le château de poupe et le château de proue, dominaient de très haut, — de lm, 70 environ, — le pont où étaient établis les bancs de la chiourme. Sur les 56 mètres qui comprenaient la longueur totale de l’œuvre morte, 5 étaient affectés à l’emplacement du château de proue, 6 à celui du château de poupe. Une porte, ouverte sur l’espalle, mettait en communication le château de poupe et la chambre de vogue.

Je tâche d’être clair : je ne me dissimule pas cependant que, si la postérité devait jamais essayer d’édifier, d’après mes descriptions et sans le secours d’aucune figure, une galère ou une galéasse du XVIe siècle, elle courrait fort le risque de tomber dans quelques-unes de ces conceptions étranges qui auraient bien étonné les contemporains des Ptolémées et des Périclès. Le Musée du Louvre garde heureusement, grâce aux bons soins de l’amiral Paris, un spécimen fort exact de toutes les phases par lesquelles a passé l’architecture navale de nos jours. M. le vice-amiral Paris, avec des débris et des textes, est parvenu à opérer la restitution complète d’une galéasse. Cette énorme galère, dont le déplacement n’est guère inférieur à un millier de tonneaux et dont le tirant d’eau dépasse 4m, 30, était mue par 52 rames de 16 mètres de long : sur chaque rame, on rangeait de huit à neuf hommes. L’équipage se composait de 452 rameurs, 350 soldats, 60 mariniers, 12 timoniers, 40 compagnons, 36 canonniers, 12 proyers, 4 officiers de sifflet, 2 pilotes, 2 sous-pilotes, 4 conseillers, 2 chirurgiens, 2 écrivains, 2 argousins, 2 charpentiers, 2 calfata, 2 tonneliers, 2 boulangers, 10 valets, 1 capitaine, 1 lieutenant, 1 aumônier, — en tout un millier d’hommes, c’est-à-dire, à peu de chose près, l’effectif d’un ancien vaisseau à trois ponts. La flotte de la Sainte Ligue, à la bataille de Lépante, comptera six galéasses sorties de l’arsenal de Venise ; la grande Armada amènera dans la Manche quatre galères du Portugal et quatre galéasses de Naples. Chaque galère sera montée par 110 soldats et par 222 galériens ; l’équipage des galéasses