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de servir leur pays. Pro Deo et Patria, voilà les mots que le législateur canadien a inscrits au frontispice de nos maisons d’éducation… Le dualisme scolaire est le corollaire du dualisme des religions et des nationalités qui se partagent le pays. L’état s’unit aux deux cultes en matière d’éducation et il n’autorise pas une école à être athée, mais s’il lui demande d’être chrétienne pour lui accorder ses secours, il n’exige pas qu’elle appartienne à une église plutôt qu’à une autre. Liberté pleine et entière sous ce rapport, et de là harmonie parfaite dans la population. »

La liberté religieuse marche à côté de la liberté d’enseignement au Canada. Point de budget des cultes : chaque confession entretient elle-même ses ministres, ses églises, et l’état ne connaît pas plus le clergé, les congrégations, pour les protéger que pour les tracasser ou les persécuter. Ils peuvent comme les autres citoyens, fonder une université, un collège, une école, vendre, tester, acquérir par donation ou autrement. Toutefois le prêtre canadien-français prélève sur l’habitant une sorte d’impôt, la dîme, ou le vingt-sixième de toutes les récoltes, mais il suffit, pour s’en déchargée, de déclarer qu’on n’appartient pas à la religion catholique. Cette coutume, restée populaire dans ces campagnes patriarcales, a donné naissance à un singulier usage qui permet à l’habitant d’exercer contre son curé de fructueuses représailles. Rien de plus beau, disent les Canadiens, qu’un beau champ de blé, un bâtiment sous voiles, et une femme enceinte : or, ils ont tellement pris au sérieux le précepte de l’évangile : Croissez et multipliez ! qu’il n’est pas rare de rencontrer des familles de vingt, vingt-cinq et même trente enfans ; à peine le vingt-sixième est-il né, on le porte en grande pompe au presbytère et voilà le curé chargé à son tour de payer la dîme, car il devient son parrain, et doit le nourrir, l’élever à ses frais, et l’amener à âge d’homme.

Si, du reste, l’habitant accepte joyeusement cet impôt, s’il s’est habitué à voir dans son curé un ami, un conseil, le véritable magistrat de sa paroisse, c’est que celui-ci a toujours travaillé, lutté à ses côtés, c’est qu’aujourd’hui il ne cesse de lui donner l’exemple et se montre grand bâtisseur, grand défricheur, grand éducateur. Il est des prêtres comme les curés Labelle et Racine, qui ont réalisé des prodiges, en installant, dans les régions les plus reculées, au péril de leur vie, des colonies aujourd’hui florissantes. Allez à l’Ouest ! répétait sans cesse Greeley aux Américains ! Allez au Nord, Canadiens français et catholiques ! dit le père Labelle, avec une clairvoyance toute prophétique ! On doit le reconnaître avec M. Etienne Parent, ce clergé ne s’est pas contenté de prier du haut de la montagne, il est descendu dans la plaine pour combattre les combats de la religion et de la patrie ; il a construit cette nationalité avec une