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propres à chaque nation. Il y a deux mille ans, tout le sud de l’Allemagne, depuis les bords du Mein jusqu’à l’Erzgebirge et aux monts Sudètes, était celte, tandis que la moitié orientale de l’empire était entièrement occupée par des Slaves : le sang germain à peu près pur ne se trouve guère que dans les provinces du nord-ouest, chez les Frisons du littoral et les Saxons, leurs voisins aux yeux et aux cheveux de nuance claire, ou bien encore chez les Hessois, dont la physionomie rappelle le portrait des peuplades teutones décrites par Tacite. Ni les Slaves de l’Est ni les Celtes du Sud n’ayant été extirpés, la nation allemande, l’Allemagne unifiée d’aujourd’hui, est germanique, celtique et slave. Au même titre, la France actuelle est celtique, ibérique, germanique ; l’Angleterre, germanique et celtique. Avant leur absorption dans l’empire romain, la Gaule, l’Italie, l’Espagne présentaient des ensembles de peuplades souvent liguées entre elles, mais sans institutions communes, sans lien dynastique, sans politique nationale.

Les invasions germaniques eurent pour effet d’introduire dans le monde le principe qui plus tard a servi de base à la formation des nationalités. Sans changer beaucoup le fond même des races, les Germains, dans l’intervalle de leur première apparition sur les bords du Rhin au Ier siècle jusqu’au Xe, à l’époque des dernières conquêtes normandes, imposèrent des dynasties et une aristocratie militaire à des parties plus ou moins considérables de l’ancien empire d’Occident. Ces pays conquis par les Francs, les Burgondes, les Lombards prirent de leurs envahisseurs le nom de France, de Bourgogne, de Lombardie. Après le traité de Verdun, qui établit des divisions à peu près immuables en principe, la France et l’Allemagne, l’Espagne, l’Angleterre et l’Italie s’acheminèrent par des voies détournées, coupées aussi par des temps d’arrêt, à leur existence nationale propre, telle que nous la voyons s’épanouir sous nos yeux. Les conquérans germains, promoteurs de ces nationalités diverses, se fondirent avec les vaincus sous l’influence d’unions multiples, de fréquens mariages, au point d’adopter leur religion et leur langue. Les petits-fils de Clovis, comme ceux d’Alaric et de Gondebaud, parlaient déjà roman. En France notamment, où Grégoire de Tours montre encore en pleine évidence la différence des races dans la population du pays, l’idée de cette différence n’apparaît plus à aucun degré dans les écrivains et les poètes postérieurs à Hugues Capet. Dès le Xe siècle, tous les habitans du territoire sont Français, dans ces premières chansons de geste, qui sont un miroir si parfait de l’esprit du temps. Malgré la distinction parfaitement accentuée entre nobles et vilains, personne ne veut y apercevoir une conquête pour origine ou pour cause, mais plutôt une différence de courage, d’habitudes, et d’éducation transmise par