Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hérédité. Aucun citoyen français ne sait s’il descend d’ancêtres alains, burgondes, visigoths ou gaulois.

Maintenant, en Allemagne comme en France, l’unité nationale repose sur la volonté du peuple plus qu’elle n’est fondée sur la langue, la race, les dynasties ou les traités. L’unité de langage constitue un bon instrument de gouvernement, sans suffire toutefois pour maintenir à elle seule l’union de populations dont les intérêts et les vues cessent de s’accorder : témoin l’acte d’émancipation signifié à l’Angleterre par les États-Unis d’Amérique. La race, d’essence purement physique, mais mobile par sa nature, varie avec les conditions d’existence et se plie au caprice des événemens, sans garantie de fixité, compatible avec toutes sortes de groupemens politiques, comme il ressort de l’exemple de la Suisse, où trois ou quatre races, parlant autant de langues différentes, forment une nation compacte en dépit de leur diversité d’origine. Les dynasties, de leur côté, peuvent déterminer des réunions de provinces et la formation de grands états par leurs guerres et leurs mariages, ainsi que cela s’est vu pour le royaume-uni de Grande-Bretagne et d’Irlande ou pour la monarchie française : la Hollande, au contraire, s’est formée d’elle-même par un acte d’énergique résolution, comme aussi la grande république des États-Unis d’Amérique, qui continue de s’agrandir par des additions successives sans base dynastique. Les traités, enfin, conclus pour la délimitation des états, agissent sur le groupement des nations à la manière des horaires de chemins de fer, valables jusqu’à nouvel ordre. À moins d’avoir pour eux la sanction du temps ou de se fonder sur le consentement des habitans, ils n’assurent aucune nationalité et se maintiennent autant que ceux qui en dictent les conditions ont la force de les faire respecter.

Un maître de la parole, écrivain brillant et penseur ingénieux, appelle l’existence d’une nation « un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de la vie. » En un sens idéal, nous admettons volontiers avec M. Renan que l’unité nationale, la réunion d’un peuple dans un même état et sous un régime commun devrait reposer sur « le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. » Seulement l’idéal n’est pas la réalité : la réalité historique offre peu d’exemples de nations puissantes, de grandes agglomérations d’hommes dépendant d’un plébiscite de tous les jours et issues du désir de vivre ensemble. Quelque jour peut-être verra-t-on une grande confédération européenne remplacer les nations et les états d’aujourd’hui. Le jour, cependant, où s’édifiera ce nouvel ordre des choses n’est pas près de se lever. La loi du siècle où nous vivons, est tout autre. N’avons-nous pas vu la guerre de la sécession, aux États-Unis d’Amérique, répandre des flots de sang dans le