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qui a aussi à défendre l’armée contre les partis occupés à la désorganiser sous prétexte de la réformer. Quelle est l’importance des forces que le nouveau ministre de la guerre a pu mettre à la disposition des chefs de notre expédition dans l’extrême Orient ? On ne peut le savoir encore que par à-peu-près, et, ce qu’on en sait ferait craindre qu’il n’y ait eu une fois de plus que des mesures insuffisantes. Toujours est-il que, par un à-propos singulier, au moment même où il y aurait à raviver le vieux culte du drapeau, à réchauffer le vieil esprit guerrier du pays, une commission de la chambre a cru devoir reprendre cette loi de recrutement dont la discussion a commencé l’an dernier, qui ne pourrait avoir d’autre résultat que d’accélérer la décomposition de la puissance morale et militaire de la France.

On sait ce qu’est cette loi. Il s’agirait tout simplement de faire passer toute la jeunesse française sans distinction et sans exception sous le niveau égalitaire, en diminuant la durée du service, c’est-à-dire que, du même coup, on atteindrait l’éducation intellectuelle et l’éducation militaire de la France. On interromprait toutes les études littéraires et scientifiques pendant trois ans, et, d’un autre côté, on n’aurait plus que des soldats de passage, des sous-officiers qui n’auraient pas même le temps d’apprendre leur métier ; mais, en revanche, on aurait obtenu une belle victoire démocratique et anticléricale en forçant les fils des bourgeois et les séminaristes à endosser l’uniforme. C’est peut-être pour les réformateurs tout le secret de la loi ! Le nouveau ministre de la guerre, M. le général Lewal, est certainement un esprit distingué, réfléchi, qui a étudié assez sérieusement les questions militaires pour ne pas se contenter de fantaisies démocratiques, et son premier mouvement a été de se révolter contre quelques-unes des innovations du projet parlementaire, de traiter même avec une certaine irrévérence la prétendue égalité devant le service militaire. Il n’avait qu’à rester fidèle à ce premier mouvement, à prendre position avec l’autorité de son esprit et de son caractère de chef de l’armée. M. le ministre de la guerre avait le choix de sa manière de procéder. Ou bien il pouvait aller devant la commission, devant le parlement lui-même, avec un projet plus sérieux, plus équitable, plus conforme aux intérêts moraux et militaires de la France, et soutenir résolument ses propositions ; il le pouvait d’autant mieux qu’il avait l’appui du conseil supérieur de la guerre, dont l’autorité est probablement aussi imposante que celle des capitaines radicaux de la commission. Ou bien M. le général Lewal pouvait tout simplement expliquer à la chambre qu’arrivé de la veille au pouvoir, il avait besoin d’étudier de plus près un projet qui intéresse l’organisation tout entière de l’armée, l’avenir militaire de la France, et qu’un ajournement s’imposait de lui-même. C’était aussi loyal que prévoyant. Le chef de l’armée gardait sa position, et il se donnait le temps de mieux coordonner ses