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c’est de contrôler, de partager même le pouvoir, dont il paraît inévitable qu’on dépende[1]. Les moyens ne seront pas la résistance individuelle, locale, ni : même une résistance de classe. Pour se mesurer avec moins de désavantage contre un adversaire si supérieur en forces, les barons n’ont qu’une ressource, c’est non-seulement de se réunir, de s’entendre, de s’organiser, mais de rallier, d’un bout du royaume à l’autre, ceux que la tyrannie du souverain peut atteindre ; et le mot de ralliement ne sera entendu et écouté que s’il comprend les griefs de tous. Ainsi la résistance, pour que la victoire ne soit pas stérile, devra être politique ; pour aboutir à la victoire, elle devra être collective, nationale et même populaire. Tout cela s’est vu en 1215. La féodalité n’a pas manqué de se montrer partout ailleurs ce qu’elle est par essence, un agent de division, de décomposition et d’oppression ; on voit comment elle est devenue ici, par circonstance, un agent d’union, de concert politique, de protection plus ou moins intéressée pour les faibles : la menace permanente d’une royauté trop puissante a, suivant la belle expression de Hallam, neutralisé la force centrifuge du système féodal.

Voilà ce qui fait la grandeur et l’originalité du grand drame dont le premier acte se clôt par la grande charte, et dont le dernier se dénoue par la constitution du parlement vers 1340. Une nation est née alors, ou plutôt s’est manifestée, une nation serrée et ordonnée autour de ses chefs naturels. Le parlement est le moyen d’action que s’est donné cette force nouvelle, l’organe permanent dans lequel la résistance ; de 1215 s’est pacifiée, régularisée et perpétuée sous la forme de l’opposition politique et du contrôle. Ainsi s’expliquent les caractères particuliers qui en ont fait, dès le commencement, une institution originale et unique en Europe ; L’absence de souvenirs, de privilèges et d’intérêts provinciaux distincts est cause qu’il n’y a eu place que pour une seule assemblée, une assemblée centrale. Le cadre et l’objet manquaient pour des états provinciaux ; ce moyen de localiser la résistance et de diviser pour régner a été refusé à la royauté anglaise[2]. Comparez, d’un autre côté, ce parlement aux états généraux de France. Quoique ceux-ci comprennent nominalement toutes les classes de la nation ; moins les serfs, leur réunion n’a pas été accomplie dans le même esprit, et n’a pas produit les mêmes

  1. Il faut lire les pétitions des barons en 1215 et en 1258. On est surpris de voir, d’un côté, ce qu’ils sont préparés à subir de la part du pouvoir central, d’un autre côté, la hardiesse du système oligarchique au moyen duquel ils prétendent contrôler et presque absorber ce pouvoir.
  2. En France, il parait certain que les états provinciaux sont, comme les états généraux, une création de la royauté. Ils ne tombent en désuétude qu’après Charles VII, Louis XI leur soumet encore le traité d’Arras. (Voyez la Revue historique. Juillet à octobre 1870.)