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correspondait avec la Sicile et l’Afrique, n’avait pas notifié à l’église de Carthage la mort glorieuse de son chef ? Est-ce que Cyprien, informé du fait dans sa retraite, ne se hâtait pas de rendre hommage à l’héroïsme de son collègue ? Qu’y avait-il ici besoin d’enquête et où voit-on qu’on l’ait faite plus tard et que le sigle ajouté au nom de Fabianus sur sa tombe ait été gravé par décret ecclésiastique ? N’est-il pas plus aisément, plus naturellement supposable que cette addition, postérieure il est vrai, a été faite par la main d’un inconnu, qui, sans mandat ni mission de personne, grava à la suite du nom du pape un titre que nul ne pouvait lui contester et qu’il avait acheté de son sang ?

A prendre en elle-même la théorie de la Vindicatio martyrum, comme on l’appelle, il semble qu’en l’adoptant on transporte en un temps une discipline et des procédures qui n’existèrent et ne furent appliquées que beaucoup plus tard. L’église militante des premiers siècles n’a rien connu qui ressemblât aux procès de canonisation. De bonne heure, à Rome, en Afrique, ailleurs sans doute, les évêques s’inquiétèrent de ceux qui combattaient de leur personne et souffraient vaillamment pour la foi commune, et recommandèrent qu’on prit soin de recueillir leurs actes. Mais il s’agissait de constituer les fastes de l’église, de garder les mémoires de ceux qui, librement, avaient lutté pour elle, et non de ramasser les matériaux de ces prétendues enquêtes ecclésiastiques. Et encore ces soucis de notoriété n’apparaissent-ils guère que dans les premières années du IIIe siècle, au moment où l’église commence à avoir le sentiment de sa durée, el, maîtresse de soi, organisée en corps et formant une puissante fédération, entre pleinement dans le monde, aspire à s’en saisir et conçoit l’ambition de devenir une institution et une force sociale. Aux premiers jours, et tant qu’on prit à la lettre le mot évangélique : « Mon royaume n’est pas de ce monde, » on ne songea pas à recueillir les traces du passage des frères dans la vie pour les transmettre aux générations futures. Dieu connaissait bien les siens !

Au temps des persécutions, le sens du mot martyr appliqué aux personnes est fort large. Il n’implique pas nécessairement le fait de la mort ou de la torture subie pour la foi, mais souvent l’idée d’une confession commencée ou éventuelle, témoin la lettre de Tertullien, Ad Martyres, dont le premier mot est : « Bienheureux martyrs désignés ! » lettre adressée à des chrétiens prisonniers, et tant de passages où Cyprien emploie ce mot de la même manière à l’égard de personnes revenues de l’exil ou sorties de prison, sans avoir même comparu au tribunal. Or, sans tenir compte de la difficulté d’une définition fixe et précisément déterminée, si, pour l’attribution de la qualité de martyr les instructions et enquêtes dont on