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parle eussent été de règle dans l’église, nous aurions là-dessus des témoignages contemporains et positifs et ne serions pas réduits à un document unique et de sens controversable. En 250, sous Trajan Dèce, à la un de 257, et, en 258, sous Valérien et Gallien, il y eut quantité de chrétiens bannis ou exécutés en Orient et en Occident. A ces dates, où est l’autorité ecclésiastique ? Elle est décimée, dispersée ou cachée. Les réunions chrétiennes sont rigoureusement interdites, les cimetières de la « fraternité » sous séquestre. Attend-on alors pour appeler martyrs ceux qui sont morts ou ont pâti pour la foi, que la paix soit rétablie, que les évêques soient revenus ou que de nouveaux aient été élus et que, dans de solennelles assises, ils aient instruit la cause des « athlètes du Christ » et vérifié leurs titres ? On vit alors d’ardens débats au sujet des lapsi et des libellatici, c’est-à-dire des apostats de divers degrés, et, plus tard, au -commencement du IVe siècle, au sujet des traditeurs, comme on appelait ceux qui avaient livré les livres saints aux agens de la police impériale ; on ne connaît nul débat au sujet des martyrs, si ce n’est quand ceux de la grande église disputent cette qualité aux fidèles morts ou vivans des sectes séparées[1]. La qualité de martyr se prend ou se donne assez légèrement. La facilité de ces usurpations prouve l’absence de désignations officielles.

Si le titre de martyr n’eût été valablement obtenu qu’après enquête juridique et déclaration épiscopale, comprendrait-on que tels ou tels eussent été communément considérés comme martyrs, et spécialement célébrés, qui ne s’acquirent cet honneur qu’en violant les conseils ou les prescriptions de l’église, c’est-à-dire en se livrant eux-mêmes aux persécuteurs ou en leur forçant la main par des insultes ou des violences publiques contre le culte païen ? L’affaire de Polyeucte, renversant et brisant des statues sacrées, n’est pas un fait unique et exceptionnel. Il y a des exemples semblables en grand nombre dans le recueil trié de Ruinart, et dans tous les volumes des bollandistes. Dans la même hypothèse, comprendrait-on tant d’erreurs et de méprises étranges au sujet des martyrs ? Des noms de localités pris pour des noms de personnes, le chiffre III des compagnons du pape Sixtus II devenant le martyr Quartus, l’expression commune synoris ou xynoris, désignant dans un texte grec un couple de martyrs transformé en sainte Xynoris, et tant d’autres confusions semblables ? Comprendrait-on qu’à la fin

  1. V. Tertullien, Advers. Praxeam, 1. Cf. Eusèbe, Hist. Eccl., v, 10, 20. Dans l’affaire de Novalianus, Nicostrate, confesseur de Rome, ayant refusé de passer au parti de Corneille comme ses anciens compagnons de prison, de martyr qu’il était appelé la veille, est traité le lendemain comme un malfaiteur. V. Cyprien, Épit. L. Ed. Hartel, p. 613, ép. LII, p. 617.