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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/185

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d’accentuer l’expression du doute. Mais ce qui fournit surtout un ample texte à leurs études, ce sont les martyrs qui ont des actes, c’est-à-dire dont les combats, comme on dit, sont racontés avec plus ou moins de détails et de précision. Parmi ces actes il en est qui ont été écrits dans les premiers siècles. Nous savons certainement que beaucoup de ces pièces se lisaient déjà au IVe siècle et au Ve siècle. Le plus grand nombre a été composé du VIe siècle au XIe. Quelques-unes, relatant des martyrs prétendus antiques, datent seulement du XVe et du XVIe siècle. D’anciens passionnaires manuscrits grecs, latins, arméniens, syriaques, coptes, épars dans toutes les grandes bibliothèques de l’Europe ont fourni et fournissent encore aux hagiographes la matière de leurs publications. C’est là en somme que réside le secret de la victoire de l’église et de son établissement dans le monde. C’est là qu’on peut apprendre ce que vaut et ce que peut l’âme humaine et combien fragile et misérable est la force en face du droit ; là qu’on trouve non des discours toujours faciles à faire sur la conscience inviolable, le dédain des choses extérieures, le désintéressement et l’abnégation héroïque, mais les vivans témoignages de ces rares vertus descendues des lèvres au cœur et s’attestant devant les bourreaux impuissans. A toutes les pages, on y lit ce noble cri proféré non dans l’école, mais devant un tribunal armé entre deux séances de tortures : « Tu peux me tuer, mais non me forcer. » Un vaste chapitre des annales de la grandeur humaine est là.

Mais cette question se pose aussitôt : quelle créance méritent ces Actes ? Évidemment une créance très inégale. Dans presque tous il y a de l’art et de l’invention. Beaucoup composés à froid, longtemps après les événemens qu’ils retracent, sont gonflés de rhétorique et de théologie, et comme baignés de merveilleux ; beaucoup ont été écrits uniquement pour édifier, ne sont rien que des panégyriques ou des homélies. Leurs auteurs anonymes se sont moins souciés de transmettre des récits authentiques que de célébrer la gloire de Dieu et de son église. Quelques-unes de ces pièces paraissent des déclamations, d’autres de purs romans. Les recueils qu’on a faits de ces Actes avant et après l’entreprise des bollandistes, depuis Lippomani et Surius jusqu’à Ruinart, sont plus ou moins étendus, c’est-à-dire plus ou moins mêlés de fables et de fictions. Le titre du recueil de Ruinart, on le sait, est : Actes sincères et choisis. Mais dans ce choix, la sincérité du savant religieux est seule absolue et hors de doute, les Actes n’ont qu’une sincérité relative et souvent contestable.

C’est l’opinion de M. Edmond Le Blant, si compétent en ces difficiles matières et d’une science si précise et de si bon aloi. Dans un