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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/212

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d’être au mieux avec la belle Mme Diede. Le mari eut des soupçons, fit un éclat, maltraita sa femme, qui, désertant le domicile conjugal, chercha un refuge chez son amant.

Le docteur Diede demanda et obtint facilement son divorce. Charlotte ne tarda pas à regretter son coup de tête ; mais elle se flattait de sauver sa réputation en épousant son capitaine de grenadiers, qu’elle adorait. Hanstein, durant quatorze ans, l’amusa par ses promesses, la leurra de vaines espérances, s’engageant tour à tour ou se dégageant sans pudeur jusqu’au jour où il épousa une autre femme. Charlotte payait chèrement sa faute. Il lui fallait des illusions, elle crut mourir en les perdant. Elle passa le reste de sa vie dans les amertumes du regret et dans l’inquiétude du désir. Elle était triste, malade et pauvre. Elle avait le génie des placemens malheureux ; sa modeste fortune s’engloutit dans ce gouffre. Il lui restait des doigts de fée, dont elle se servit pour fabriquer des fleurs d’un goût exquis ; ce fut son gagne-pain. Mais il fallait travailler d’arrache-pied, se coucher après minuit, se lever à la pointe du jour. Son courage résista à toutes les épreuves.

Bien que sa santé fût détruite et que sa beauté eût souffert, elle inspirait encore des passions. On ne l’approchait guère sans tomber amoureux d’elle. Les déclarations qu’on lui faisait n’étaient point pour lui déplaire. Elle ne se fâchait pas ; elle s’étonnait, se récriait et grondait fort doucement. Il ne tint qu’à elle de se faire épouser par un autre officier, qui avait plus de cœur que Hanstein. Mais il était soupçonneux, jaloux, et elle ne s’entendait pas à le rassurer. Quoiqu’elle crût l’aimer passionnément, tantôt elle voulait, tantôt elle ne voulait plus, et tour à tour elle s’avançait ou reculait, a Vous aimez tout le monde et vous n’aimez personne, » lui disait-il avec colère, et de dépit il leva le siège. Un peu plus tard, un homme marié et fort riche, qui lui avait rendu quelques services d’argent, lui fit des propositions qu’elle repoussa avec un geste d’horreur. Elle n’était pas née pour être heureuse, étant trop coquette pour une honnête femme, trop honnête pour une coquette. Quoi qu’on soit, il faut l’être tout à fait ; c’est encore la meilleure chance qu’on ait de réussir dans ce monde.

Elle fut longtemps coquette, elle fut toujours romanesque. Elle ne sut jamais prendre la vie pour ce qu’elle est ni voir les hommes tels qu’ils sont. Elle était sincère dans son repentir autant qu’elle avait été-candide dans sa faute, et elle avait toute, sorte de vertus, de l’honneur, du désintéressement, du courage, toutes les fiertés d’une grande âme. Elle dut contracter plus d’une fois des dettes ; elle s’imposait sans marchander et sans se plaindre toutes les privations pour se mettre en état de s’acquitter. À mesure qu’elle avançait en âge, elle avait plus de délicatesse dans les sentimens. Les lettres qu’a publiées M. Hartwig en font foi, et le style en est aussi noble qu’abondant et