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en inspirer ; et, — qu’ils prennent seulement le fusil, il en sortira toujours bien quelque chose.

C’est ce qui mettra, si l’on veut, le dernier trait à cette nature, et celui qui l’achèvera de peindre : immorale et mauvaise, elle fut encore, et de plus dangereuse. A la vérité, je sais, dans ces affectations de férocité sanguinaire, ce qu’il entre presque toujours de « cabotinage » et, si je l’ose dire, de « fumisterie. » A Vallès donc, comme à tant d’autres, le cœur faillit au moment d’agir, ou du moins on l’a dit, et lui-même s’est défendu d’avoir conseillé les incendies de 1871 et le massacre des otages. Mais l’histoire lui répondra comme ce fédéré : « Le massacre des otages ? Eh ! dites donc, le lettré, et les massacres de septembre ! c’était donc une blague quand vous nous disiez de faire comme en 93 ? » En effet, on n’a pas le droit de reculer et de bouder la besogne, pour malpropre qu’elle soit, quand on a soulevé la révolte, et soulevée, comme Vallès, au nom des pires passions qui puissent pousser l’homme contre l’homme. On ne l’excuserait certes pas, mais en le jugeant on pourrait le plaindre si l’on discernait seulement quelque chose en lui de la nature du sectaire ou du fanatique ; on n’y reconnaît malheureusement que les rancunes de l’impuissant, l’envie du réfractaire et, pour tout dire d’un mot, les instincts du forban. Qu’importe après cela qu’un jour il ait empêché celui-ci, comme il s’en vante, de faire sauterie Panthéon, ou celui-là de joindre une victime de plus à celles de la commune ? Ce qui demeure vrai, c’est qu’il était de ceux dont les appétits brutaux et l’indisciplinable égoïsme voient et verront toujours, dans toute société réglée, leur naturelle et constante ennemie. Ce qui n’est pas moins vrai, c’est que les satisfactions qu’il réclamait de la vie, il les voulait au prix d’une révolution ou d’un bouleversement social, comme s’il eût dû manquer quelque chose à sa volupté s’il ne l’eût obtenue de l’émeute et du meurtre. Et ce qui peut-être est encore plus vrai, c’est que, si c’est là une distinction, — non passans doute’ unique, mais enfin assez rare, — on n’en imagine, pas dont lui-même eût été plus fier. À ce titre, entre Hébert et Marat, par ; exemple, à peine moins grotesque que l’un et presque aussi féroce que l’autre, il tiendra dignement sa place dans un musée national des horreurs, et en attendant, comme cela sans doute ne pourra manquer quelque jour, qu’il ait aussi lui sa statue sur une place publique, dans ce pays de France où le souvenir des révolutions s’immortalise en bronze. Tant d’autres ont déjà la leur ! et ne souscrit-on pas quelque part pour celle de Danton ?


F. BRUNETIERE.