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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/314

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Je n’ai pas à prendre ici le parti des économistes. Ils ont bec et ongles et sont gens à se défendre eux-mêmes. Mais je ne puis m’empêcher de trouver que l’école historique est bien sévère pour eux, en même temps qu’elle leur fait beaucoup d’honneur en grandissant singulièrement leur influence. Certes, on ne saurait trop les maudire si cette influence avait développé dans l’humanité des instincts qui jusque-là lui étaient inconnus et allumé en elle les feux d’une passion nouvelle. Mais quoi ! la soif de l’or, — auri sacra fames, — n’est-elle pas un vice vieux comme le monde, contre lequel ont déclamé aussi bien les moralistes de l’antiquité que les prédicateurs chrétiens ? L’homme n’est-il pas né avec l’amour du gain, et la cupidité n’est-elle pas de l’essence même de sa nature ? Seulement, les formes que prend cet instinct et cette passion varient suivant les temps et suivant les circonstances où leur empire s’exerce. Sous le régime du monopole, ces sentimens se traduisaient par l’âpreté que chacun mettait à défendre le privilège dont il était investi. De là l’entente des maîtres pour éloigner les compagnons de la maîtrise ; de là les procès des corporations entre elles pour se défendre contre leurs empiétemens réciproques et les dénonciations des manufacturiers privilégiés sollicitant des mesures rigoureuses contre ceux qui fabriquaient des produits similaires à leur détriment. Toute l’histoire du travail, sous l’ancien régime, est pleine de conflits engendrés par cet esprit de mesquine et cependant naturelle rivalité. Aujourd’hui, sous un régime de liberté, l’amour du gain prend la forme d’une concurrence, peu scrupuleuse quant à ses procédés, et peu prévoyante quant à ses résultats. Mais il n’y a pas là un fait nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que l’état se désintéresse systématiquement aujourd’hui de ces luttes de l’industrie, où son intervention était constante autrefois, et en ce point l’influence des économistes se fait incontestablement sentir. Mais l’intervention de l’état ne parvenait pas davantage à empêcher les conflits que la liberté n’y parvient aujourd’hui, parce que le conflit des intérêts est la conséquence fatale de la vitalité industrielle. Là où il n’y aurait point conflit, rivalité, lutte plus ou moins âpre, il y aurait stagnation, décadence et bientôt mort de l’industrie, et il ne faut point s’en prendre aux économistes de ce qui est dans la nature des choses.

Est-ce à dire cependant que ces deux formules célèbres : Laissez faire, laissez passer. — Le travail est une marchandise, soient