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de se méconnaître lui-même à la longue, mauvais aussi parce qu’on fait médiocrement à la faculté ce qui ailleurs serait fait beaucoup mieux[1]. »

L’enseignement supérieur français ramené aux proportions d’un mauvais enseignement secondaire ; nos maîtres réduits, pour être suivis, à s’annexer des classes élémentaires, voilà donc jusqu’à présent le plus clair profit que nos facultés provinciales aient retiré des cours fermés et que très probablement la plupart d’entre elles en retireront jamais. Car, notez qu’il s’agit ici des seuls boursiers, c’est-à-dire d’une élite et d’un centre important, Montpellier. Que si les choses se passent ainsi dans les grandes villes, on devine ce qu’elles peuvent être dans les petites, et l’on peut déjà, par ainsi, se rendre compte de la décadence irrémédiable qui atteindrait bientôt les hautes études le jour où nos facultés ne seraient plus que des fabriques de licenciés.

Une autre tendance à laquelle il serait dangereux de s’abandonner, c’est celle qui pousse aujourd’hui beaucoup d’esprits distingués à réclamer une refonte complète de notre organisation scolaire. L’idée, cette fois encore, appartient à M. Renan, et l’on n’a guère fait après lui qu’y ajouter quelques variantes et qu’y apporter quelques tempéramens. Je n’en excepte pas le père Didon, dont le livre, d’ailleurs fort éloquent, n’a pas été pour tous une révélation, je n’en excepte même pas la partie la plus originale et la plus élevée de ce livre, celle qui traite du rôle patriotique et libéral que les futures universités pourraient être appelées à jouer dans le conflit entre l’église et l’état, — un beau rêve de moine, comme on l’a très ingénieusement appelé[2].

L’auteur de la Réforme intellectuelle voudrait ici non plus seulement un timide palliatif comme celui dont il semblait se contenter en 1862, mais une réforme radicale, à savoir : le retour pur et simple « au grand et beau système des universités autonomes et rivales que Paris a créées au moyen âge et que toute l’Europe a conservées, excepté justement la France, » et la suppression du même coup des Écoles polytechnique, normale, etc. Indépendantes des villes, indépendantes du clergé, ces universités seraient le

  1. M. Albert Lebègue exprimait dernièrement le même regret dans la Revue internationale de l’enseignement : « Sur cinq de nos boursiers, disait-il, il en est à peine un dont l’instruction classique ne soit très médiocre. De là, pour nous, la nécessité d’abaisser nos conférences à leur niveau, qui est au début inférieur à celui d’un bon élève de seconde. Ils nous occupent beaucoup cependant, précisément parce que nous avons trop à leur apprendre. Si nous voulons leur rendre tous les services dont ils ont besoin, nous n’avons plus le temps de préparer d’autres cours. »
  2. Lavisse, Questions d’enseignement national.