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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/356

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groupes primitifs, et grâce à l’esprit d’association qui est au fond de chaque individu, de nombreuses universités ont pu s’élever et durer à travers toutes les vicissitudes politiques, dans des villes de quatrième ordre. Le dur joug qui pèse depuis vingt ans sur l’Allemagne, l’absorption dans l’état prussien de tous les particularismes et de toutes les autonomies n’ont encore sérieusement atteint ni Goettingue, ni Iéna, ni Heidelberg. Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas, leurs beaux jours sont passés et déjà, par suite du mouvement de gravitation qui, dans les pays centralisés à l’excès, pousse la population vers les capitales, l’université de Berlin a pris et tend à prendre de jour en jour une prépondérance plus marquée. Encore un peu et elle aura tiré à elle le plus clair et le meilleur de la science allemande, elle sera le grand déversoir où aboutiront tous les courans intellectuels qui se partageaient naguère en tant de branches diverses.

En France, il y a quelques centaines d’années que cette évolution s’est accomplie, que Paris est devenu, comme Berlin y tend, un centre d’activité scientifique à peu près unique. Sur les vingt-quatre universités qui existaient en 1789 combien avaient encore quelque vitalité ? Le très petit nombre, trois ou quatre à peine. Les autres languissaient et se mouraient de consomption comme beaucoup de nos facultés actuelles. La révolution n’essaya même pas de galvaniser ces corps sans âmes. Ce fut son tort peut-être. Là, comme ailleurs, dans son aveugle prévention contre le passé, elle fit table rase, quand il lui eût été si facile, à elle, de réformer et de consolider. Les universités disparurent comme les parlemens, comme les académies, comme la province. Il lui parut que toutes ces démolitions se tenaient et s’entraînaient mutuellement ; tout ce qui empêche un peuple d’être une simple juxtaposition d’individus, elle le détruisit. Qu’y faire aujourd’hui ? Essayer d’une reconstruction partielle, isolée, revenir aux universités sans la province et sans le cortège d’institutions d’où elle tirait sa force et sa personnalité, retourner à l’ancien régime scolaire en pleine démocratie et dans un pays dont la tête a pris toute la substance et toute la vie, n’est-ce pas là une pure utopie, et sauf deux ou trois points comme Lyon et Bordeaux, — et encore, — une entreprise vouée d’avance au plus mémorable avortement ?

Dans les dernières années de l’empire, il s’était formé sous les auspices de quelques esprits distingués toute une école dite de Nancy, qui tenait l’excessive prépondérance de Paris et du pouvoir central pour notre plus grand mal, et qui n’y voyait de remède que dans la reconstitution des influences et des forces locales. À cette époque, l’opposition démocratique et