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raient de le croire s’en tiendraient, comme parfaitement suffisantes, aux explications dont ils s’étaient antérieurement contentés.

L’esprit humain n’a rien de transcendant dans ses modes de conception ni dans ses procédés. Il est surtout tatillon ; il va de l’analyse à la synthèse et de celle-ci revient encore à l’analyse, jusqu’à ce qu’il parvienne à enregistrer des résultats le plus souvent relatifs. L’analyse et l’induction lui fournissent ainsi les moyens ingénieux et alternatifs, quoique toujours bornés, de s’enquérir et de conclure. Mais la conclusion n’est rigoureuse que lorsque les prémisses même ont une suffisante étendue, et ces prémisses, la seule observation est en mesure de les procurer. Sont-elles incomplètes, les conclusions le seront aussi. Cette marche explique pourquoi le système de Ptolémée, qui satisfaisait aux anciennes données de l’astronomie, a si longtemps été en faveur. Les Romains avaient connaissance de l’autre hypothèse ; mais elle ne leur paraissait ni admissible ni même discutable. Tant que le poids de l’atmosphère a été inconnu, on s’est contenté, pour expliquer l’ascension de l’eau dans une pompe, de l’axiome que la nature avait horreur du vide, et aussi longtemps que les propriétés de l’oxygène n’ont pas été expérimentalement définies, le phlogistique suffisait à ceux qui voulaient se rendre compte du phénomène de la combustion. Pourquoi en aurait-il été autrement lorsqu’il s’est agi d’apprécier l’espèce ? Soupçonnait-on, dans le court espace chronologique qui s’étend de l’ancienne Égypte aux portes du xixe siècle, l’existence du facteur principal, à défaut duquel on ne saurait aborder utilement cette notion ? Nous voulons parler de la durée, de la durée prodigieusement longue des périodes, pendant lesquelles la nature a vécu, les animaux ont respiré, les plantes ont végété, sans jamais cesser de se multiplier à la surface du globe, en dehors de l’homme inconscient de cette vie antérieure à sa propre existence, en tant que créature raisonnable, attentive au spectacle de l’ordre extérieur, capable de remonter des effets aux causes et de reconstruire le passé.

C’est une méconnaissance d’un passé antérieur à lui qui a longtemps enlevé à l’homme la possibilité de comprendre l’espèce, et pourtant, aussitôt qu’il a réfléchi et considéré, il a aperçu des êtres vivans, plantes ou animaux, avec lesquels le soin de se défendre, l’obligation de se nourrir ou d’utiliser des services, ont bientôt établi des relations de jour en jour plus étroites et plus multipliées. C’est pour se rendre compte de ces relations que, soit à l’état sauvage, soit à l’état civilisé, l’homme n’a pas manqué de définir, au moins par le langage, la nature des êtres vivans qui l’entouraient. Il en a vu de pareils, naissant les uns des autres, formant des races susceptibles de se propager et ne différant entre eux que par de faibles