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inégalité visible des êtres, impliquant forcément des dédoublemens successifs et réitérés, ne suffirait pas non plus pour expliquer à elle seule la genèse des espèces dans leur marche à travers la durée infinie des périodes, si l’on ne joignait à cette notion celle d’une complexité croissante des organismes ; comme si, étant partis d’un état de simplicité au moins relative, ils s’en étaient ensuite éloignés pour s’étendre, se compléter et se spécialiser par l’extension graduelle des parties et le perfectionnement des fonctions dévolues à chacune d’elles. C’est de ce travail incessant, au moyen duquel la variabilité conduit soit au développement, soit à l’atténuation par atrophie, soit à l’élaboration des organes, que les êtres vivans ont retiré toutes les différences, grandes ou petites, qui les distinguent.

Darwin, vers le milieu du siècle qui touche maintenant à sa fin, est venu donner un corps à ces doctrines jusqu’alors flottantes ou imparfaitement caractérisées et mal accueillies, à titre de nouveauté contestable, par la majorité des savans français. Le philosophe anglais eut le mérite immense de comprendre qu’en invoquant les effets de l’expérience de l’homme sur les êtres vivans, comme preuve de ce qui avait dû se passer jadis, il forcerait plus aisément les convictions que s’il se bornait à des exemples tirés de la paléontologie, trop peu avancée pour fournir des argumens sans réplique au sujet de l’ancienne marche des espèces. Darwin insista sur la « sélection, » c’est-à-dire sur l’acquisition possible sous l’influence volontaire de l’homme, ou bien sous l’impulsion inconsciente de la nature, d’organes nouveaux ou seulement d’extensions et d’adaptations organiques, utiles aux individus et, par eux, à la race, dans laquelle s’affermissaient par l’hérédité ces modifications avantageuses, tendant à assurer une supériorité quelconque aux êtres qui en seraient pourvus, vis à vis de ceux qui en seraient plus ou moins destitués. Dans ce système, la perfection organique, essentiellement relative, aurait dépendu de l’adaptation à des conditions d’existence déterminées. L’être inférieur, moins avancé, et par cela même moins complexe, se contenterait, à raison même de son infériorité, d’une somme moindre d’exigences biologiques. Sa moindre complexité serait pour lui une sauvegarde, en lui permettant de vivre et de prospérer là où un être plus élevé, mais moins simple, ne saurait ni se procurer les moyens de subsister, ni trouver la possibilité de se défendre contre les concurrens. Plus un être aurait de parties à protéger et de fonctions à remplir, plus ces parties seraient distinctes et ces fonctions spécialisées, ce qui est le vrai et double caractère de la supériorité organique, plus aussi ce même être aurait à vaincre de difficultés pour le